Partenariats : être à l'écoute, cocréer et réussir ensemble

Nous croyons que le progrès naît de l’union de voix diverses autour d’un même but. Dans un monde traversé par des bouleversements mais riche de possibles, la collaboration et le dialogue sont la clé de solutions durables. En mettant en valeur les perspectives et les contributions de nos partenaires — qu’ils viennent de la société civile, du monde philanthropique, de la sphère académique, des milieux confessionnels, du secteur privé ou d’ailleurs — nous aspirons à faire grandir des idées capables d’impulser, de guider et de générer des résultats concrets.

Ces exemples illustrent la manière dont nos partenaires transforment nos objectifs communs en réalisations tangibles, comment ils parviennent à créer des emplois, à donner aux populations les moyens de leur autonomie et à contribuer au développement là où les besoins sont les plus urgents.

Du Bangladesh au Nigéria, l’emploi de demain commence avec la société civile

Rafiu Akinpelu Olaore, directeur général, YEDIS ; Md Arif Raihan Maahi, directeur de l’impact, Devtale Partners et cofondateur, Shoktikonna

Face au manque d'emplois et de perspectives pour les jeunes, une évidence s’impose : aucune organisation ne peut relever seule ce défi. En tant que chefs de file d’initiatives locales au Nigéria et au Bangladesh, nous savons que la création d’emplois repose sur une action conjointe de la société civile, des pouvoirs publics, des entreprises, et sur leur collaboration avec des institutions comme le Groupe de la Banque mondiale. Ce sont ces partenariats qui permettent de transformer l’espoir en opportunité et qui donnent aux jeunes la chance de prendre en main leur avenir.

Le point de vue de Rafiu : YEDIS au Nigéria

Au Nigéria, des millions de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail, mais rares sont ceux qui trouvent un emploi décent. Lorsque nous avons fondé la Youths Enterprise Development and Innovation Society (YEDIS) (a), c’était avec la conviction que les clés de la solution sont chez les jeunes eux-mêmes. Les jeunes ne doivent pas être réduits à des demandeurs d'emplois, ils peuvent aussi en créer, à condition de disposer des bonnes compétences, des outils appropriés et des réseaux nécessaires.

Youths Enterprise Development and Innovation Society (YEDIS)

Notre expérience montre que l’entrepreneuriat rural, l’innovation numérique et l’agro-industrie peuvent être de puissants moteurs d’emploi. L'exemple des coopératives féminines d’huile de palme dans l’État d’Osun est particulièrement édifiant. Auparavant exclues de toute forme d'aide officielle, ces structures étaient peu productives en raison d’outils rudimentaires et elles n’avaient guère voix au chapitre. Avec YEDIS, elles ont pu suivre une formation dans les domaines de la transformation durable, du marketing numérique et de la gestion financière. Ce groupe autrefois marginalisé a été reconnu par les autorités locales, ce qui lui a permis d'avoir accès à des équipements modernes et à de nouveaux marchés. Aujourd’hui, ces femmes ont non seulement les moyens de travailler mieux, mais elles créent aussi des emplois. Elles sont employeuses, porteuses d’innovation et leadeuses dans leur communauté.

Nos programmes d’innovation numérique témoignent de la même transformation. Grâce à nos efforts de mentorat, plus de 20 000 jeunes sont passés du statut d’usagers occasionnels des réseaux sociaux à celui d’utilisateurs actifs de la technologie mobile en exploitant tout le potentiel du commerce électronique, des paiements numériques et de l’entrepreneuriat digital. Certains gèrent maintenant des boutiques de mode en ligne, tandis que d’autres ont créé des entreprises dans la logistique ou la conception graphique. Ces entreprises contribuent à une économie numérique locale qui attire de plus en plus d’investisseurs.

Rien de tout cela ne serait possible sans la mobilisation de partenariats. Nous collaborons avec les pouvoirs publics, les institutions mondiales et le secteur privé. Nous cocréons des solutions avec les communautés, en veillant à ce que les formations soient ancrées dans les réalités locales. Nous pensons que le rôle de la société civile est de libérer les potentiels, de relier les populations marginalisées aux opportunités et de plaider en faveur de politiques qui permettent à l’entrepreneuriat de prospérer.

Le point de vue de Maahi : Shoktikonna au Bangladesh

La situation est différente au Bangladesh, mais le message est le même : l’emploi nécessite une action collective. En lançant Shoktikonna (a) [un mot-valise conçu pour promouvoir le pouvoir des femmes dans l'énergie], notre volonté était de remédier à une lacune flagrante. Le secteur énergétique, au cœur de la transition verte, était en très grande majorité masculin. 

Shoktikonna in Bangladesh

La transition vers les énergies propres ouvre de nouvelles perspectives en Asie du Sud. Or les femmes occupent à peine un tiers des emplois dans ce secteur, et souvent à des postes administratifs. Si les femmes sont exclues des fonctions techniques et de direction, la transition ne sera ni juste, ni inclusive, ni durable.

C'est pourquoi Shoktikonna s’efforce de changer les choses. Nos programmes associent des formations techniques sur les énergies renouvelables, l’e-mobilité et les marchés du carbone à des activités de mentorat et de réseautage, ainsi qu'à une expérience directe de projets réels. Puja, Ruthila et Nishi en ont bénéficié. Elles font partie de ces femmes confrontées à des stéréotypes sexistes et à des normes sociales et culturelles poussant à l’introversion et au manque de confiance en soi, et qui sont aujourd’hui ingénieures, coordinatrices de projet ou conseillères dans des organisations de premier plan. Aujourd’hui, 87 % de nos diplômées travaillent dans le champ de l’énergie verte ou poursuivent des études supérieures.

Nous sommes particulièrement fiers de la manière dont nos partenaires du secteur ont fait leur cette vision. Des entreprises comme Solshare et Grameen Shakti recrutent désormais activement nos diplômés, non pas par charité, mais parce qu’elles reconnaissent leur talent, leurs compétences et leur potentiel de leadership. En collaboration avec des partenaires du secteur privé, nous mettons actuellement en place le premier portail d’emplois verts du Bangladesh, en veillant ainsi à ce que les jeunes femmes aient directement accès aux nouvelles opportunités.

La société civile joue ici un rôle de catalyseur : nous aidons à constituer un vivier de talents, cultiver la confiance et faire bouger les lignes culturelles. Il incombe ensuite au secteur privé de créer des emplois et de développer l’innovation.

Notre vision commune : l’emploi passe par les partenariats

La société civile apporte la confiance et la connaissance du terrain. Le secteur privé ouvre des marchés et permet une montée en puissance. Les institutions comme le Groupe de la Banque mondiale fournissent un soutien. Et les pouvoirs publics créent les conditions nécessaires à la réussite de tous. Lorsque ces forces s’unissent, les jeunes ne trouvent pas seulement du travail, ils y trouvent un sens et de la dignité.

L’avenir du travail dans nos régions repose sur cette synergie. Au Nigéria, cela signifie aider les entrepreneurs ruraux à se doter de compétences numériques et se rapprocher des financements et des marchés. Et au Bangladesh, veiller à ce que les femmes ingénieures prennent les commandes de la transition verte et façonnent les technologies de demain. Partout dans le monde, cela signifie élaborer des politiques ancrées dans le vécu et le terrain, atténuer les risques liés à l’entrepreneuriat, récompenser davantage l’innovation, faire de l’inclusion la règle, et non l’exception.

Nos organisations sont modestes, mais leur impact illustre le champ des possibles. YEDIS a commencé avec quelques jeunes dans des communautés défavorisées ; aujourd’hui, ils sont des dizaines de milliers. Shoktikonna a commencé avec 45 femmes ; aujourd’hui, ses diplômées sont le moteur d'une économie verte.

Des champs de manioc au Nigéria aux toits solaires du Bangladesh, le message est clair : quand les acteurs unissent leurs forces pour agir, les emplois suivent. Et lorsque les emplois sont inclusifs et durables, les communautés progressent ensemble.

Entretien avec Rose Goslinga, cofondatrice et présidente de Pula

Pula conçoit et fournit des produits d’assurance et de technologie numérique pour aider les petits exploitants agricoles en Afrique et dans d’autres marchés émergents à gérer les risques et à augmenter leurs revenus.

Alexander is a retired farmer in Wote, a sub-county area in Makueni County. He is one of the selected few farmers who share rain data with the Kenya metrological department. He has a rain gauge in his farm which he uses to capture the data everytime it rains. This data is shares through a whatsapp group.

Depuis sa création en 2015, Pula (a) — une société dans laquelle IFC a investi — s’est associée à plus de 110 compagnies d’assurance et de réassurance et 70 intermédiaires à travers le monde pour toucher plus de 15 millions d’agriculteurs. Les solutions d’assurance agricole offrent aux agriculteurs une protection financière contre les pertes de production causées par des phénomènes naturels tels que sécheresses, précipitations excessives, invasions de ravageurs ou maladies des cultures.

[Sara Haddad, Banque mondiale] Rose, merci d'être avec nous aujourd’hui. Pula utilise la technologie pour surveiller les récoltes et déterminer quand une indemnisation doit être versée. Pouvez-vous nous expliquer concrètement comment cela aide les petits exploitants agricoles à gérer les risques et surmonter des pertes ?

[Rose Goslinga] Je travaille avec des agriculteurs depuis 18 ans, ils sont exposés à des risques redoutables : sécheresses, inondations, ravageurs, invasions acridiennes... Pula est actuellement active sur 13 marchés africains, et force est de constater que le secteur de l’assurance délaisse souvent les petits exploitants. Alors qu'aux États-Unis une assurance agricole traditionnelle peut coûter jusqu’à 15 000 dollars, les petits exploitants paient 10 dollars pour moins d’un hectare. Pour garantir la durabilité de nos services auprès de ces agriculteurs, nous comptons fortement sur la technologie.

Nous utilisons des données satellitaires pour regrouper les agriculteurs en fonction des microclimats et pour détecter les pertes, tout en menant en complément des visites aléatoires dans les exploitations pour effectuer des vérifications. Des jeunes des environs utilisent notre application mobile pour effectuer un suivi standardisé des récoltes, ce qui leur offre des possibilités de microtravail tout en nous fournissant des données précises sur les productions.

Chaque année, nous assurons environ cinq millions d’agriculteurs et nous nous rendons dans quelque 30 000 exploitations, en employant 1 500 jeunes environ. Cette approche permet non seulement d'élargir considérablement l'accès à des produits d'assurance, mais aussi de renforcer la confiance, car les agriculteurs voient un membre de leur communauté collecter les données qui détermineront le montant des dédommagements.

[Sara Haddad, Banque mondiale] Essayez-vous de mettre au point ou d’envisager d’autres technologies pour aider les petits exploitants à mieux gérer les chocs liés aux intempéries ?

[Rose Goslinga] Oui, tout à fait. Les risques auxquels doivent faire face les petits agriculteurs évoluent : outre les sécheresses et les inondations, leurs cultures sont également menacées par des maladies qui peuvent dévaster leurs moyens de subsistance. Par exemple, dans le secteur du cacao, les agriculteurs ne savent parfois pas s’ils doivent abattre un arbre ou essayer de le sauver, et cette décision peut signifier la perte de deux à cinq années de revenus, le temps qu’un nouvel arbre arrive à maturité.

Avec de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et les outils de visionique, un agriculteur peut désormais prendre en photo un cacaoyer et savoir rapidement s’il est sain ou infecté. Nous utilisons également la technologie blockchain et les dispositifs de cryptomonnaies stables pour accélérer les versements. Les systèmes d’assurance étant fragmentés, le transfert de fonds peut prendre du temps. Ces outils nous permettent par conséquent de transférer l’argent rapidement et en toute sécurité, de manière à ce que les agriculteurs soient indemnisés au moment où ils en ont le plus besoin. Enfin, nous mettons l’accent sur une expansion à grande échelle : pour avoir un impact réel, les innovations doivent aller au-delà de projets pilotes pour être pérennisées et atteindre des millions de personnes.

[Sara Haddad, Banque mondiale] Y a-t-il une innovation technologique qui n’existe pas encore/n’est pas encore appliquée chez les petits exploitants et qu’il faudrait selon vous développer/exploiter pour accroître la productivité des agriculteurs ?

[Rose Goslinga] L’une des plus grandes innovations que nous avons réalisées récemment ne concerne pas seulement la technologie, elle porte sur le fonctionnement de l’ensemble du système. Pula a débuté comme une entreprise d’ « assurtech » : nous concevons des produits d’assurance et travaillons avec les pouvoirs publics, les banques et les assureurs locaux pour aider les agriculteurs à les adopter. Lorsqu’IFC a investi dans notre société en 2023, l’un des domaines clés que nous voulions développer était celui de la réassurance. C’est pourquoi nous avons récemment lancé une activité dans ce sens.

L’objectif est d’intégrer véritablement la chaîne de l’assurance. Lorsqu’on a recours à des outils comme les cryptomonnaies stables pour le versement des indemnisations, il faut que l'ensemble du processus — de la souscription au paiement — soit connecté. En assumant nous-mêmes une partie de ce risque, nous avons davantage de contrôle et pouvons indemniser les agriculteurs plus vite.

Innover, ce n'est pas seulement inventer de nouvelles technologies, cela consiste aussi à simplifier les processus pour garantir une application efficace de nos solutions technologiques sur le terrain.

[Sara Haddad, Banque mondiale] Avec plus d’un milliard de jeunes qui devraient rejoindre le marché du travail au cours de la prochaine décennie, comment créer de meilleures opportunités pour les jeunes dans l'agro-industrie ?

[Rose Goslinga] Les emplois sont un pilier du secteur agricole. Partout en Afrique, l’agriculture vieillit, alors même que tant de jeunes n’y voient pas de perspectives de revenus sûrs et stables.

L'expérience de Pula nous a appris que les dispositifs d’assurance, les aides publiques et les systèmes d'enregistrement des agriculteurs doivent fonctionner de concert. En l’absence d’une base de données fiable, il est difficile de savoir qui doit bénéficier de versements, qui est assuré ou qui est éligible à un crédit. La mise en place de ces systèmes crée des emplois. En Ouganda, nous avons collaboré avec les autorités à l’enregistrement d’environ 1,5 million de producteurs de café. Les 4 500 jeunes qui ont été recrutés pour collecter ces données ont ensuite trouvé du travail dans l’inspection d’assurance, l’évaluation des sinistres et la traçabilité des exportations.

Je pense que la numérisation sera le moteur de la prochaine génération d’emplois dans l’agriculture. Il faudra des agents pour familiariser les agriculteurs aux outils numériques, aux prêts et aux polices d’assurance. Quand les jeunes agriculteurs utilisent les nouvelles technologies, les exploitations sont plus productives et l’agriculture peut devenir une carrière d’avenir.

[Sara Haddad, Banque mondiale] Comment des partenaires tels que le Groupe de la Banque mondiale peuvent-ils davantage encourager l’innovation dans l’agro-industrie et soutenir la réussite des entreprises comme Pula et des petits exploitants qui en bénéficient ?

[Rose Goslinga] La collaboration de l’ensemble du Groupe de la Banque mondiale est essentielle. Dans un secteur comme celui de l’agriculture, qui est à la fois un moteur de l’emploi et un enjeu de sécurité alimentaire, l’intégration entre le secteur privé et l’État joue un rôle crucial.

Chez Pula, nous assurons 5 millions d’agriculteurs chaque année dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). En Zambie, environ une personne sur trois bénéficie de notre assurance grâce à des partenariats avec les ministères et les établissements de crédit.

Le Groupe de la Banque mondiale peut servir de passerelle entre l’investissement privé et l'action publique, en permettant ainsi une large diffusion de l’innovation. La croissance agricole repose sur des politiques et des partenariats public-privé solides. Ce que nous apportons, c'est une solution d’assurance qui renforce la résilience. Cela ne règle pas tout, mais c’est une avancée concrète.

Une croissance soutenue de la productivité peut réduire le coût des denrées alimentaires, ce qui permet de libérer une part importante du revenu des ménages et, plus largement, de stimuler le développement économique.

[Sara Haddad, Banque mondiale] Merci infiniment, Rose, pour cette discussion.

 

Entretien avec Peter Materu, responsable des programmes à la Fondation Mastercard

Peter Materu, de la Fondation Mastercard, et Abebe Adugna, directeur régional pour la prospérité en Afrique de l’Ouest et centrale à la Banque mondiale, discutent de l’inclusion financière, de l’emploi et des opportunités numériques pour la jeunesse africaine.

Partner Peter Materu -Mastercard Foundation

[Abebe Adugna] Merci, Peter, de m’accorder cet entretien. En dépit de nombreuses années d’efforts, l’inclusion financière en Afrique est toujours limitée, en particulier parmi les femmes, les jeunes et les communautés marginalisées. Selon vous, quels sont les principaux obstacles qui freinent les progrès, et existe-t-il des exemples de partenariats qui ont permis de faire avancer les choses ?

[Peter Materu] Merci à vous, Abebe. L’Afrique a fait de grands progrès en matière d’inclusion financière, mais l’usage des services demeure superficiel et inégal. La principale contrainte est l’infrastructure numérique : beaucoup de zones rurales ne disposent toujours pas d’un accès fiable et les investissements ont été lents. Seulement 30 % des adultes possèdent un smartphone, ce qui limite l’accès aux paiements numériques, en particulier pour les femmes qui accusent un retard d’environ dix points de pourcentage de retard par rapport aux hommes.

Nous avons également besoin de systèmes de paiement interopérables pour que les utilisateurs puissent facilement transférer de l’argent d’une plateforme à l’autre et que de nouveaux acteurs puissent entrer en concurrence. Les obstacles bancaires traditionnels persistent eux aussi : les exigences en matière de garanties excluent les jeunes et les groupes à revenus modestes. Nous nous efforçons de changer les choses grâce à des mécanismes de partage des risques et à des solutions de crédit numérique qui permettent aux jeunes d’obtenir des prêts.

L’inclusion est au cœur de la mission de la Fondation Mastercard. Depuis 2018, nous avons engagé environ 3,4 milliards de dollars au bénéfice de plus de 25 millions de personnes et mobilisé plus de 700 millions de dollars d’investissements privés. Nous travaillons en partenariat avec des banques comme Equity et KCB au Kenya et Absa au Ghana pour faciliter les prêts aux jeunes sans garantie. En Éthiopie, notre partenaire Kifiya utilise des données numériques pour établir des historiques de crédit, et un travail similaire se poursuit en Ouganda avec GnuGrid.

Nous favorisons aussi l’inclusion financière des femmes grâce à l’Africa Growth Fund qui vient en appui des fonds d’investissement dirigés par des femmes, ce qui permet de mobiliser des capitaux et de changer la perception de l’Afrique en tant que destination d’investissement.

Enfin, notre Mécanisme d’investissement catalytique pour l’Afrique (ACIF) soutient les PME en phase de croissance, en complément de notre travail avec les petites entreprises. En démontrant que les entreprises africaines sont compétitives et qu’il est possible d’y investir, nous cherchons également à changer le discours sur les marchés et les entrepreneurs africains. Aucun acteur ne peut à lui seul résoudre tous les problèmes, mais nous espérons que notre action suscitera davantage d’investissements dans la finance inclusive.

[Abebe Adugna] Votre fondation s’est fixé un objectif ambitieux : permettre à 30 millions de jeunes Africains d’accéder à un travail digne d’ici 2030. C’est audacieux et stimulant. Quelle est votre approche pour y parvenir et voit-on apparaître des modèles généralisables ?

[Peter Materu] Effectivement, nous avons pris cet engagement en 2018 pour sortir de notre zone de confort. Jusqu’à présent, nous avons permis à plus de 19 millions de jeunes d’accéder à un travail digne, et nous sommes en bonne voie pour qu’ils soient 30 millions d’ici 2030. Cependant, ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg car, à la même date, plus de 500 millions de jeunes Africains seront à la recherche d’un emploi. Nous devons agir plus rapidement pendant que la fenêtre démographique est encore ouverte.

Nous nous concentrons sur trois priorités.

Premièrement, l’éducation, qui doit être phase avec les besoins du marché du travail, en particulier l’enseignement secondaire, dont on sait qu’il s’agit d’une voie d’accès fondamentale à l’emploi, ainsi que la formation technique et professionnelle.

Deuxièmement, les compétences et l’employabilité. De nombreux jeunes terminent leurs études sans pour autant trouver un emploi. Nous travaillons avec des organisations tels que l’African Leadership Group pour proposer des programmes courts dans des domaines tels que la cybersécurité, les systèmes de données et l’intelligence artificielle, en mettant directement les diplômés en relation avec les employeurs.

Troisièmement, passer des projets aux programmes. Le travail digne n’est pas le résultat d’une intervention unique : c’est un parcours qui va de l’acquisition de compétences à la recherche d’un emploi et à la progression professionnelle. Nous investissons dans les institutions et nous nous attaquons aux obstacles systémiques tels que les carences politiques, l’accès limité au marché et les mentalités rétrogrades.

Nous mettons également l’accent sur l’autonomie, en aidant les jeunes à croire en leur capacité à façonner leur avenir. Pour ceux qui sont issus de milieux pauvres ou ruraux, ce changement d’état d’esprit peut être un facteur déterminant.

[Abebe Adugna] Vous avez mis l’accent sur l’éducation et les compétences, mais même avec des talents, de nombreuses économies manquent d’entreprises capables d’embaucher ou de se développer. Le principal défi est-il du côté de l’offre— compétences et préparation de la main-d'œuvre — ou du côté de la demande, c’est-à-dire de possibilités d’emploi limitées ?

[Peter Materu] Les deux défis sont importants, et nous essayons de les relever en même temps. Nous disons souvent qu’il faut rencontrer les jeunes là où ils sont et avancer avec eux. Cela commence par une éducation et des compétences adaptées.

Ensuite, il s’agit de connecter les jeunes aux débouchés, c’est-à-dire d’établir un lien direct entre la formation et les employeurs ou l’entrepreneuriat. Mais la demande est tout aussi essentielle : seuls deux ou trois jeunes Africains sur dix arrivant à l’âge adulte trouvent un emploi salarié formel. L’entrepreneuriat devient donc primordial. La plupart des 19 millions de jeunes que nous avons soutenus ont trouvé du travail en se lançant dans une activité indépendante.

Pour que ces activités soient durables, nous nous associons à des banques et appliquons des mécanismes de partage des risques afin qu’elles acceptent de prêter à de jeunes entrepreneurs sans garantie. Lorsque les institutions financières considèrent les jeunes comme des candidats à l’investissement, l’ensemble de l’écosystème se développe et c’est ainsi que des emplois sont créés à grande échelle.

[Abebe Adugna] Vous avez mentionné la technologie numérique à plusieurs reprises. Avec la révolution numérique et de l’IA qui remodèle l’économie mondiale, quels sont, selon vous, les promesses et les risques pour l’Afrique ? Et comment les pays peuvent-ils tirer le meilleur parti de ces outils ?

[Peter Materu] Je dis souvent que le numérique est devenu la quatrième dimension de l’alphabétisation de base : c’est désormais un élément indispensable dans tous les secteurs. Que ce soit dans la finance, l’agriculture, l’éducation ou les industries créatives, la technologie numérique est désormais fondamentale, et avec l’IA, son importance ne cesse de croître.

Le principal écueil reste l’infrastructure, en particulier dans les zones rurales. Même lorsqu’elle est en place, son accessibilité financière est un obstacle : les coûts élevés des données et du haut débit empêchent de nombreuses personnes de s’y connecter. Nous avons également besoin de systèmes interopérables pour relier les utilisateurs entre les différentes plateformes.

Les cadres politiques varient d’un pays à l’autre, mais de nombreux gouvernements reconnaissent désormais l’urgence de la transformation numérique. C’est là que le Groupe de la Banque mondiale peut jouer un rôle clé, en soutenant le déploiement des infrastructures, en élargissant l’accessibilité et en créant des environnements propices à l’innovation.

En fin de compte, les progrès dépendront de la collaboration entre les pouvoirs publics, les acteurs privés et les partenaires du développement pour s’assurer que les avantages du numérique bénéficient à tout le monde.

[Abebe Adugna] Le contexte de développement de l’Afrique est difficile : une population en croissance, des emplois limités, une dette en hausse et une aide en baisse. Comment des organisations comme la Fondation Mastercard et la Banque mondiale peuvent-elles collaborer plus efficacement ? Des changements de politique ou de programmes sont-ils nécessaires ?

[Peter Materu] D’ici 2050, la majeure partie de la population mondiale en âge de travailler vivra en Afrique. La fenêtre pour se préparer à cet avenir se referme rapidement, c’est pourquoi la collaboration est essentielle.

À la Fondation Mastercard, nous entendons accroître les impacts par la souplesse et l’inclusion. Toutefois, pour relever les défis de l’Afrique, il nous faut des partenaires qui partagent les mêmes objectifs, ce qui rend la collaboration avec la Banque mondiale si précieuse.

Nous avons déjà travaillé ensemble par l’intermédiaire du CGAP, pour faire progresser les paiements numériques et l’inclusion dans toute l’Afrique, et dans le cadre des technologies de l'éducation pour soutenir les entrepreneurs qui apportent des outils numériques dans les salles de classe afin que les élèves acquièrent une culture numérique dès le plus jeune âge.

Ces partenariats pourraient être approfondis et élargis. Avec un leadership fort et un objectif commun, je suis convaincu que nous pouvons accomplir beaucoup plus ensemble.

[Abebe Adugna] Merci, Peter. Nous serions enchantés de poursuivre cette conversation, en particulier sur l’inclusion financière au Kenya, au Ghana et en Éthiopie. Programmons un rendez-vous avec nos équipes !

[Peter Materu] Très volontiers, avec grand plaisir. J’ai hâte d’échanger non seulement sur ce que nous pouvons faire ensemble, mais aussi sur comment nous pouvons le faire. C’est là que résident les véritables enjeux, et les chances de progrès.

L’avenir de l’emploi en Afrique doit être inclusif

Un emploi, c’est plus qu’un salaire. C’est un vecteur de dignité, d’inclusion et de transformation. L’emploi révèle le potentiel de la jeunesse africaine et la conduit vers la prospérité. Beaucoup en sont pourtant privés et, pour y remédier, il est indispensable de repenser les modalités de la conception, de la création et de la répartition des emplois.

Selon l’indice de la qualité de l’emploi qui sera publié prochainement par l’ACET, la majorité des emplois actuels ne garantissent ni juste rémunération, ni sécurité, ni perspectives d’évolution.

Alors que l’emploi est au cœur des discussions de ces Assemblées annuelles, il importe de rappeler une vérité toute simple : une transformation économique durable est nécessairement inclusive.

Chaque année, 10 à 12 millions de jeunes Africains arrivent sur le marché du travail. D’ici à 2050, l’Afrique aura besoin de plus de 70 millions de nouveaux emplois chaque année pour répondre à la demande. Elle n’en crée actuellement que 3,1 millions dans l’économie formelle, vouant au chômage ou à la précarité des millions de personnes. En outre, la plupart du temps, même les emplois formels ne garantissent pas une rémunération suffisante ni des avantages sociaux satisfaisants.

Un trop grand nombre de personnes — en particulier les femmes, les jeunes des zones rurales et les personnes atteintes d’un handicap — sont totalement privées d'opportunités.

En 2023, 29,9 millions de jeunes Africains étaient au chômage, tandis que plus de 100 millions étaient sous-employés, condamnés à des emplois précaires ou informels. Dans certains pays, les taux de chômage chez les jeunes dépassent 35 %, ce qui nourrit l’instabilité et l’émigration.

Mais derrière ces défis se cachent des perspectives formidables.

L’Afrique deviendra bientôt le plus grand vivier de main-d’œuvre au monde. Dans un monde qui vieillit à grande vitesse, la force de travail africaine sera un moteur de plus en plus puissant de la croissance mondiale. À condition cependant d’investir correctement dans les systèmes prioritaires.

De la rhétorique à la réforme

Au sein de l’ACET, nous pensons que toute véritable réforme doit commencer par ces systèmes. Au cours des deux dernières années, nous avons réalisé une étude consacrée à l’enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP) dans six pays africains — Ghana, Rwanda, Ouganda, Côte d’Ivoire, Éthiopie et Niger —, en collaboration avec les pouvoirs publics, des établissements de formation, des employeurs et des partenaires de développement.

Ce que nous avons appris en dit long sur la nécessité de repositionner l’EFTP comme un moteur de croissance inclusive.

Plus de 600 000 jeunes sont inscrits dans des établissements d’EFTP, mais les femmes ne représentent qu’un cinquième de ces effectifs. Entre 70 et 90 % des établissements sont publics, mais ne reçoivent que moins de 5 % des budgets nationaux d’éducation, soit bien en deçà des 10 à 20 % recommandés par l’UNESCO.

Plus inquiétant encore, moins de 15 % des programmes de formation recueillent le point de vue des employeurs, et moins d’un quart d’entre eux intègrent des compétences numériques ou liées à l’économie verte. Et ce, malgré la demande croissante d’expertise dans les domaines des TIC, des énergies propres et de l’agriculture climato-intelligente.

Il existe toutefois des signes de changement prometteurs. Le Rwanda expérimente la mise en place de conseils nationaux sur les compétences chargés d’aligner les programmes de formation sur les besoins du marché du travail. Le Ghana intègre des compétences numériques et climatiques dans les programmes d'études nationaux d’EFTP. Et en Ouganda, des artisans expérimentés mais sans diplôme formel ont de plus en plus accès à des certifications.

Nous avons également constaté un intérêt croissant autour des dispositifs de financement basé sur la performance, qui consistent à conditionner les fonds alloués aux établissements d’EFTP à l’obtention de résultats (taux d’emploi des diplômés, équité entre les sexes, partenariats avec le monde de l’entreprise). Ces changements de politique laissent présager un écosystème plus réactif, responsable et inclusif.  

L’inclusion exige une démarche volontaire

L’inclusion n’est pas le fruit du hasard. Elle doit être intégrée dans chaque politique et chaque programme.

À l’heure actuelle, plus d’un jeune sur quatre en Afrique subsaharienne n’est ni en emploi, ni en études, ni en formation. Les jeunes femmes et les personnes handicapées se heurtent à des obstacles encore plus importants : accès limité à la formation, insécurité, attentes de la société... Les jeunes des zones rurales vivent souvent loin des agences pour l’emploi et des possibilités de formation.

En outre, ceux qui travaillent sont le plus souvent employés dans le secteur informel ; ils contribuent aux économies nationales, mais sont rarement inclus dans les programmes officiels de formation continue ou les plans pour l’emploi.

Si nous voulons résoudre la crise de l’emploi, nous devons commencer par les personnes qui sont le plus souvent exclues. Cela signifie rendre les formations plus souples, plus proches et plus accessibles. Cela signifie aussi utiliser des données plus fiables et collaborer avec les populations locales, pas seulement avec les institutions.

Un élan mondial pour une action collective

Alors que l’Afrique devient la région du globe où la population est la plus jeune et le rythme d’urbanisation le plus rapide, il est plus urgent que jamais d’agir. La prospérité du monde repose sur celle des jeunes Africains, car leur avenir et le progrès mondial vont de pair.

Nous exhortons nos partenaires mondiaux à investir dans des programmes de réforme portés par les Africains et fondés sur des données probantes afin de déployer à grande échelle les initiatives efficaces, tout en faisant de l’équité un principe fondamental.

L’ACET continuera d’œuvrer pour garantir à tous les jeunes d’Afrique, quels qu'ils soient et où qu'ils vivent, une chance réelle d’accéder à un emploi décent et digne.

Une Afrique promise à un bel avenir est une Afrique qui n’oublie personne.

Semer les graines de l’emploi, du développement communautaire et de la résilience dans l’ouest du Kenya

Kevin Makova, Founder & CEO of Forezava, 2024 Max Thabiso Edkins Climate Ambassador

Lorsqu’on sème des graines, il faut veiller à ce qu’elles reçoivent les nutriments dont elles ont besoin et espérer qu’elles pousseront comme prévu. Il en va de même pour les emplois. À 24 ans, j’ai réuni un groupe d’amis de mon village, dans l’ouest du Kenya, pour créer Forezava. Cette plateforme apporte aux jeunes et aux femmes des compétences et des ressources indispensables pour diriger de petites entreprises qui génèrent des revenus et profitent à la communauté.

Je viens du comté de Vihiga, une région principalement rurale où il est difficile d’obtenir un emploi décent et où l’agriculture, dont nous dépendons, est menacée par la dégradation de l’environnement. Enseignant de formation, je me demandais souvent, en regardant mes élèves, comment aider les jeunes à rester dans leur communauté et y créer leurs propres opportunités. Je voulais promouvoir le point de vue des jeunes sur les besoins de nos communautés et leur apporter un soutien direct. Ce qui compte, pour moi, c’est de tisser des liens et de donner aux jeunes générations les moyens de trouver leurs propres solutions aux problèmes locaux.

Forezava est née d’un simple conseil qu’on m’a donné un jour : lance-toi ! Si tu décèles un problème ou une occasion à saisir dans ta communauté, lance-toi. N'attends pas pour faire tout ce que tu peux faire aujourd’hui. Avec le temps, tu accumuleras des connaissances et des compétences, et, petit à petit, tu seras entouré d’un réseau de soutien.

Forezava repose sur la confiance. Nous comptons sur les jeunes et sur leur capacité à comprendre les besoins de leur communauté et à reconnaître leurs propres forces. Ensuite, nous leur apportons le soutien dont elles et ils ont besoin pour mettre en œuvre des solutions utiles et pragmatiques qui créent des emplois et renforcent la résilience.

L’un de nos programmes — Forezava Community Enterprise Development Initiative — est axé sur le développement de l’entrepreneuriat local. Il accompagne des jeunes comme Lavine, de retour chez elle après avoir obtenu un diplôme de géomètre. Nous l’avons aidée à lancer sa start-up, puis nous avons organisé un événement pour la faire connaître aux parties prenantes locales et leur montrer comment ils pourraient utiliser ses services. Adika, lui, voulait tirer des revenus d’un petit lopin de terre, mais ne savait pas par où commencer. Alors nous l’avons aidé à voir le potentiel de sa parcelle et nous l’avons guidé tout au long du processus d’enregistrement de son entreprise et jusqu’à l’ouverture d’un compte bancaire. En l’espace de trois ans, il a transformé sa terre en une exploitation modèle qui produit des légumes, des bananes, des fleurs et des plants d’arbres indigènes et fruitiers. L’entreprise d’Adika lui permet de subvenir à ses besoins, mais sa portée va bien au-delà : elle emploie d’autres jeunes et transmet à la nouvelle génération de précieuses connaissances agricoles.

Depuis que nous avons lancé Forezava en 2018, ma communauté a beaucoup changé. Nous avons formé plus de 5 000 personnes, aidé 50 groupes de jeunes et de femmes à créer des fermes climato-intelligentes, planté plus de 100 000 arbres et restauré 10 kilomètres de terres riveraines pour renforcer la sécurité alimentaire et la résilience. Grâce à un réseau de dix clubs scolaires, nous faisons entrer la préservation de la nature dans les salles de classe, tandis que d’autres initiatives de Forezava intègrent les arts visuels, le sport et les technologies blockchain afin d’encourager l’innovation et sensibiliser aux enjeux environnementaux. J’ai vu des jeunes avec lesquels nous avions travaillé créer leurs propres plateformes numériques et devenir autonomes et indépendants.

Forezava montre ce qui est possible lorsqu’on accompagne les populations locales en les aidant à résoudre par elles-mêmes les problèmes auxquels elles sont confrontées. Nous devons nous faire davantage l'écho des idées et des solutions qui émergent au sein des communautés. Elles sont souvent toutes simples et pourtant elles changent les choses en profondeur. Notre projet Seed2Tree consiste par exemple à amener des jeunes en forêt pour recueillir des graines indigènes et les planter ensuite dans notre exploitation Forezava. Puis nous vendons les jeunes plants dans les environs pour générer des revenus et en même temps régénérer les écosystèmes locaux. Dans notre village, nous perpétuons ces activités simples et nécessaires depuis des générations.

Les communautés locales recèlent d’immenses opportunités. Les jeunes ne sont pas seulement pleins d’idées, ils sont déjà à l’origine de solutions qui valent la peine d’être soutenues.