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Au cours de la prochaine décennie, 1,2 milliard de jeunes dans les pays émergents et en développement atteindront l’âge de travailler. Or, au rythme actuel, seuls 400 millions d’emplois seront créés. Face à ce déficit de débouchés pour les jeunes, le Groupe de la Banque mondiale a mis en place un Conseil consultatif de haut niveau sur l’emploi. Le président de la Banque mondiale, Ajay Banga, sera aux côtés des coprésidents de cette instance, l’ancienne présidente du Chili Michelle Bachelet et le président de Singapour Tharman Shanmugaratnam, pour dire combien il est important de promouvoir des idées neuves et audacieuses afin de créer des emplois qui donnent aux jeunes un horizon et les moyens d’une vie digne.

Si vous êtes sur place, nous vous attendons nombreux dans l’atrium de la Banque mondiale !

[Gregory Felder]Bonjour, bienvenue aux réunions annuelles 2024 du Fonds monétaire international et du Groupe de la Banque mondiale. Je suis Greg Felder. Pendant 30 minutes, nous allons écouter des dirigeants mondiaux distingués sur les défis de création de l'emploi pour les jeunes. En raison de l'accroissement spectaculaire de la population en Afrique subsaharienne, nous aurons un tiers de la jeunesse de la planète d'ici 2050. Nous avons créé des politiques et programmes pour relever ce défi. L'objectif est de transformer ce défi en une opportunité et la source de prospérité future. Nous avons invité trois dirigeants du monde entier : Ajay Banga, président du Groupe de la Banque Mondiale, Tharman Shanmugaratnam, président de la République de Singapour, et Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili. Bienvenue. Nous commençons par monsieur Ajay Banga. En août de cette année, la Banque mondiale a annoncé l'établissement d'un conseil consultatif de haut niveau sur l'emploi. Quelle a été la motivation ?

[Ajay Banga]Merci de m'avoir invité et félicitations. Je voudrais tout d'abord remercier les présidents Shanmugaratnam et Bachelet. Vous disposez de très peu de temps et en dépit de cela, vous avez décidé de consacrer ces quelques instants à la Banque pour répondre aux défis posés par 2,5 milliards de jeunes qui, dans les 50 années à venir, vont entrer sur le marché de l'emploi. On parle souvent d'une dividende démographique pour ces pays, à condition que vous disposiez de santé, d'éducation, d'eau potable et quand vous êtes adultes, avoir accès à un travail qui est synonyme, non seulement de revenus, mais aussi de dignité et de lutte contre la pauvreté. Mais pour cela, il faut pouvoir mettre fin à la pauvreté grâce à un travail, à un emploi. Ainsi, vous améliorez votre vie et celle de votre famille. On dit parfois que la pauvreté n'est pas seulement une situation de vie, mais une façon de penser. Pour les jeunes, il faudrait créer 4 millions d'emplois si nous voulons que les jeunes réalisent leur destinée. Voilà donc l'objectif : comment créons-nous un environnement qui facilite la formation de capital humain, comme de l'infrastructure et en particulier pour les PME qui génèrent beaucoup d'emplois. Voilà ce que la Banque mondiale veut apporter. Nous comprenons le secteur privé, nous comprenons le secteur public. Quelles sont les politiques qui facilitent la création de l'emploi ? Mais nous voulons écouter les praticiens, ceux qui ont déjà réussi dans leur vie. Pour ce qui est du conseil, nous remercions les dirigeants qui vont en parler.

[Gregory Felder] Oui, merci d'appuyer cette initiative. Qu'en est-il de vos motivations personnelles ? Pourquoi ce moment est-il tellement important pour que vous coprésidiez ce conseil pour l'emploi ?

[Tharman Shanmugaratnam] Pour rebondir sur ce que vient de dire Ajay, il y a trois défis qui définissent notre époque et les décennies et les 30 années à venir. D'abord, il faut aborder le changement climatique. Deuxièmement, il faut maintenir la paix, un ordre international ouvert aux investissements et le commerce. Et troisièmement, il faut changer la trajectoire de la création de l'emploi. Si nous ne le faisons pas, il sera très difficile d'appuyer au niveau des pays la lutte contre le changement climatique et en faveur d'un ordre mondial ouvert. Donc, aborder ces trois défis, c'est une tâche qui dépend de chacun d'entre nous, mais nous ne pouvons plus attendre. La création d'emplois est une question urgente, surtout dans le continent où la jeunesse est la plus importante. C'est aussi le continent où il y a le moins de femmes qui participent au marché de l'emploi. Beaucoup de femmes, cependant, sont actives dans le secteur informel où elles n'ont pas réellement de carrière qui leur permet de progresser. Donc, les emplois doivent constituer des défis que tous les gouvernements décident d'affronter. Il y a d'autres questions auxquelles nous devons penser encore, de nouveaux problèmes. Pour cela, il faut d'abord savoir ce qui a bien fonctionné dans certaines parties du monde en matière d'éducation, de développement des compétences, la façon dont nous organisons l'économie où le secteur privé participe à la création d'emplois. Mais il y a aussi de nouveaux défis : l'intelligence artificielle qui pourrait créer d'énormes divisions au niveau international, la décarbonation qui, à elle seule, peut constituer une opportunité de création de nouveaux emplois. Et un autre défi encore : comment nous nous adaptons aux changements qui se produisent dans le monde entier, surtout dans le cadre de la mondialisation qui commence à changer. C'est le cas de l'Afrique, de l'Asie. Que font les pays pour se connecter à la courbe de la croissance ? Un exemple d'après mon expérience et l'expérience de beaucoup d'autres pays, la création réussie de l'emploi dans une économie ne consiste pas à atteindre un point final. Bien au contraire, c'est un apprentissage constant selon une courbe en progression ascendante qui permet aux travailleurs, aux entreprises, à des groupes d'entreprises au sein d'un secteur industriel, d'apprendre en faisant les choses. Pour avoir du succès, il faut pouvoir changer l'économie politique d'un pays pour que les preneurs de décisions politiques puissent être récompensés en fonction des réformes au lieu de se renfermer sur eux-mêmes.

[Gregory Felder] Merci, Président. Madame le présidente Bachelet, pendant votre mandat, vous avez mis en œuvre plusieurs politiques qui ont amélioré l'infrastructure et ont appuyé la création d'emplois. Parlez-nous de ce que vous avez appris pendant votre présidence et que vous apportez maintenant à ce conseil.

[Michelle Bachelet] Tout d'abord, quelle a été ma motivation ? Je dirais que j'ai toujours été une championne du développement et j'ai toujours lutté contre la pauvreté pour essayer d'alléger, de réduire la faim et la pauvreté. Ajay a déjà évoqué plusieurs facteurs que je ne vais pas répéter, mais je crois que la création d'emplois est essentielle pour le respect, l'estime de soi et la dignité des personnes. Bien sûr, il faut surmonter beaucoup de défis pour cela et nous en discutons au sein du conseil. Mais je crois également que le principal problème du chômage, du sous-emploi et de l'informalité se situe au niveau des femmes. Il faut donc adopter une perspective de genre, d'égalité hommes-femmes. Qu’ai-je appris de mon expérience gouvernementale et pourquoi j'ai accepté ce poste, cette responsabilité ? Je l'ai accepté parce que je considère que, comme ancienne ministre et comme présidente à deux reprises et directrice d'ONU Femmes, j'ai dû traiter de nombreuses questions, de beaucoup de crises, des crises économiques, le chômage. Nous avons dû trouver de nouvelles façons de créer de l'emploi, conjointement avec le secteur privé, dans le secteur public également, mais majoritairement avec le secteur privé. Pour savoir comment améliorer les possibilités des personnes peu qualifiées, comment améliorer leur ensemble de compétences, dans mon pays, nous avons lancé plusieurs initiatives dans ce sens. Il nous faut aussi appuyer la qualité de l'éducation, surtout parmi les jeunes défavorisés, qu'il faut soutenir davantage pour qu'ils puissent arriver jusqu'à l'enseignement supérieur qui leur ouvre beaucoup plus de possibilités. Mais bien sûr, nous pourrions encore ajouter énormément de choses.

[Gregory Felder] Après la première réunion du conseil, pourriez-vous nous parler des messages principaux ?

[Tharman Shanmugaratnam] Le conseil a 18 membres qui représentent toutes les régions, hommes et femmes, et plus important, nous apportons des expériences précieuses. Il s'agit de décideurs de politiques, des personnes avec de l'expérience dans différents secteurs d'activité économique, des ONG, le monde universitaire, ce qui nous a permis de mener un débat très enrichissant sur les obstacles, les barrières clés qu'il faut surmonter et les initiatives pour y arriver. Sur quoi devons-nous concentrer notre recherche de résultats ? Il n'y a pas de solution magique, mais il y a certainement des solutions que nous devons adopter et adapter sans vouloir atteindre nécessairement la perfection qui fait souvent obstacle à l'amélioration.

[Gregory Felder] Merci. Mme Bachelet, quel est le message principal que vous voulez lancer après cette conversation ?

[Michelle Bachelet] D'abord, je remercie monsieur Ajay.

[Ajay Banga] Je suis le seul qui ne suis pas président. Appelez-moi Ajay.

[Michelle Bachelet] Oui, mais c'est très important que le groupe soit organisé de façon très intéressante. Ainsi, vous pouvez dire des choses qui nous font réfléchir et qui nous font changer notre façon de concevoir l'emploi. Normalement, nous devons mettre fin au marché informel et l'officialiser. Néanmoins, il y a beaucoup de facteurs qui continuent à poser des défis, mais notre groupe est certainement un groupe fantastique. Quelques messages à en tirer ? Je dirais que nous avons pu identifier quels sont les secteurs qui créent le plus d'emplois, ce qui veut dire que nous avons aussi pu comprendre et identifier que les obstacles ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Nous devrions donc réfléchir à ce que chaque pays, chaque situation, chaque région, pourrait retirer comme avantage d'une politique. Nous devons donc trouver de meilleures façons de travailler et poursuivre le bon travail qui a déjà été fait et l'étendre. Et pour terminer, il y a beaucoup de choses à faire. Nous commençons.

[Gregory Felder] Ajay, ma dernière question est pour vous. On parle ici de la création de l'emploi. Est-ce que vous pouvez détailler la question de la qualité de l'emploi ? Est-ce que vous pensez qu'il y a quelque chose comme un « bon emploi » ?

[Ajay Banga] En fait, tout emploi est un bon emploi parce que l'emploi permet d'atteindre la dignité et une rémunération. Il y a certains emplois qui sont mieux que d'autres. Tout le monde souhaite toujours s'améliorer en termes d'emploi. Et d'ailleurs, on a entendu cette question d'ascension pour ce qui est de l'emploi. Pour commencer à grimper l'échelle de l'ascension, il faut d'abord pouvoir mettre le pied à l'étrier. Je pense que ce qui est important ici, c'est de ne pas avoir un seul point de vue et un seul point d'entrée. Il faut toujours réfléchir à cette question en termes d'emploi et de chômage. Ne pas avoir d'emploi, c'est toujours à la défaveur des jeunes. Michelle soutient la cause de l'égalité femmes-hommes. On en a parlé avec différents membres, on va lancer un événement majeur autour de l'égalité du genre demain. Et on a parlé de cette question du financement et d'orienter le financement pour les femmes entrepreneurs. Les femmes entrepreneurs emploient également d'autres femmes. Donc ça permet d'agir comme un levier pour que les femmes puissent vraiment rentrer sur le marché du travail et participer pleinement à la société. Donc je ne suis pas forcément d'accord avec cette dichotomie : bon emploi-mauvais emploi, secteur formel et informel. Ce qui est important, c'est de commencer par l'emploi tout court et ensuite d'améliorer ses chances, d'améliorer ses opportunités, le processus, comme le disait le président Tharman Shanmugaratnam. Le processus est aussi important que la fin à atteindre.

[Tharman Shanmugaratnam] Il y a trois opportunités à saisir à mon sens ici. Tout d'abord, la question de la malnutrition de l'enfant. Il y a différents pays qui commencent à s'atteler à cette question. Dans ma région du monde, l'Indonésie, par exemple, a lancé un plan national de nutrition. La question de cette malformation de l'enfant est essentielle. Il y a énormément d'enfants dans ces pays qui souffrent de ces problèmes de croissance et il faut vraiment s'y atteler. Il faut assurer que cette question soit traitée parce que ça affecte la qualité de vie, ça affecte le potentiel des jeunes. On sait très bien comment faire la question de la malnutrition, dans la question de la petite enfance et la question également de la maternité. Il y a aussi la question de la qualité de l'éducation, pas simplement de la quantité, pas simplement le nombre d'années à l'école. La Banque mondiale le dit, la question de la pauvreté d'apprentissage est un problème majeur. Dans de grandes parties du monde en développement, il y a des enfants qui sont trois ans en retard par rapport à leur âge physique. 50 % des élèves en section primaire n'ont pas les capacités nécessaires liées à leur âge. Donc c'est important aussi d'assurer la qualité de l'éducation. Et pour ce faire, il faut aussi attirer les professeurs et assurer la formation des formateurs. Après, il y a aussi une inadéquation entre l'offre et la demande. Ce n'est pas simplement un problème qui atteint le monde en développement, c'est un problème auquel doivent faire face des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni. Également cette inadéquation de compétences, de formation par rapport à ce qui est demandé sur le marché du travail. Et ça a un impact fort sur les aspirations et les ambitions, surtout pour ceux qui ont dépensé l'argent pour arriver à l'université et qui suivent des programmes où il n'y a pas du tout de demande. Encore une fois, c'est quelque chose qui peut être réparé. Il faut réduire ce fossé entre les établissements d'enseignement et le marché du travail, avoir donc une approche beaucoup plus granulaire sur les besoins des employeurs afin qu'on ait une boucle rétroactive dans le cadre des universités, des établissements d'enseignement où on peut avoir des modes différents, des modes où les personnes étudient et travaillent en même temps sur ces deux voies parallèles. Ensuite, il faut travailler à la réforme des systèmes d'enseignement supérieurs, de tertiaires, pour travailler à la mise en place de compétences et pas simplement au niveau de l'enseignement, mais aussi au tout au long de la vie dans les carrières des uns et des autres.

[Gregory Felder] Merci beaucoup à tous les trois. J'espère que vous avez glané de précieuses informations lors de cet événement. Si vous voulez retrouver cette vidéo, vous pouvez suivre le lien qui figure en bas de l'écran : live.worldbank.org Merci d'être venu écouter les orateurs. Merci.

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