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La solution contre la pauvreté : une croissance créatrice d'emplois

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L’accès à des emplois de qualité est le meilleur levier de sortie de la pauvreté.  Pour créer des emplois, les entreprises doivent grandir et surmonter toute une série de difficultés : accès limité aux financements, concurrence déloyale, carences de l’État de droit, obstacles réglementaires, conditions peu propices à l’activité entrepreneuriale... Quelles solutions innovantes pourraient être mises en place pour stimuler une croissance porteuse d’emplois ?

C'est à cette question qu’ont répondu les responsables politiques, entrepreneurs et dirigeants d’organisations internationales réunis pour cet évènement. La discussion a souligné l’importance d’un meilleur accès aux financements et à la technologie et la nécessité de développer les échanges commerciaux. Elle a aussi permis aux ministres présents de mettre en lumière les succès de programmes nationaux qui s’efforcent de lutter contre la pauvreté et de bâtir un avenir meilleur et plus inclusif pour tous.

[Sandrine Rastello] Bonjour et bienvenue aux assemblées annuelles 2023 du Groupe de la Banque mondiale et du FMI. Je suis Sandrine Rastello, en direct de Marrakech, au Maroc. Au préalable, permettez-moi de reconnaître les tremblements de terre terribles qui ont eu lieu il y a quelque temps au Maroc. Nous nous tenons solidaires en ce temps difficile du peuple marocain et du Maroc. Pour alléger la pauvreté, nous devons trouver des manières de favoriser la croissance pour créer suffisamment d'emplois, qui répondent aux besoins des jeunes pour la prochaine décennie et au-delà. Dans la prochaine heure, nous discuterons de cet immense défi. Durant cet événement, vous pourrez nous faire part de vos réflexions sur le hashtag #WBMeetings. Veuillez nous transmettre également vos questions à worldbank.org ou en personne en utilisant le code QR qui se trouve devant vous. Nous avons une brochette d'intervenants d'expérience avec des représentants d'entreprises, des représentants officiels. Avant de les présenter, Monsieur Axel Van Trotsenburg, Directeur général principal de la Banque mondiale, nous présentera quelques remarques pour cadrer notre échange. Merci.

[Axel Van Trotsenburg] Merci. Bonjour, Messieurs, Dames. Permettez-moi de commencer par exprimer mes condoléances les plus sincères pour le peuple marocain et la ville de Marrakech. Cet événement tragique nous rappelle que les crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui de par le monde sont enchâssées. Les pays sont aux prises avec des défis pour atteindre les objectifs de développement durable en luttant contre ces événements climatiques et ces catastrophes naturelles de plus en plus aigus. Parlons à présent du sujet qui nous intéresse. L'économie mondiale continue d'être face à des obstacles, au sortir de la crise de la pandémie de Covid-19. Et vu la croissance actuelle, nous ne sommes pas sur la voie d'élimination de la pauvreté extrême d'ici 2030. De fait, d'ici la fin de l'année prochaine, des personnes dans près de 30 % des pays en développement demeureront plus pauvres qu'avant la pandémie. La façon la plus sûre de nous sortir de la pauvreté, c'est de créer de meilleurs emplois et davantage d'emplois. Ceci est un défi qui est au cœur de notre mission d'éliminer la pauvreté pour créer une planète vivable. Créer plus d'emplois et de meilleure qualité, c'est au cœur de la mission du Groupe de la Banque mondiale. Dans le monde entier, 205 millions de personnes sont sans emploi et beaucoup sont très jeunes. De plus, plus de deux milliards de personnes ont de faibles salaires et des possibilités de croissance limitées. Alors, je vous prie de garder cela en tête : nous avons 8 milliards de personnes sur Terre. 25 % de la population mondiale est sans emploi. La création d'emplois formels est manquante. Le nombre de nouveaux entrants sur le marché du travail dans les pays en développement s'observe. Par exemple, en Afrique subsaharienne, l'économie produit seulement un emploi formel pour chaque cinq nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année. Et cette situation représente une occasion manquée s'agissant de la croissance du revenu moyen par habitant, surtout dans des pays qui affichent un dividende démographique. La croissance génératrice d'emplois vient avec plusieurs facettes. Nous devons répondre à différents besoins d'entreprises, des petites et moyennes entreprises et des grandes entreprises. Il n'y a pas de recette magique. Permettez-moi de me concentrer sur les trois grandes contraintes qui limitent la création d'emplois et qui, selon moi, pourraient se prêter à des améliorations. D'abord, les coûts élevés d'entrée freinent la production d'entreprises et c'est aussi particulièrement essentiel pour les petites entreprises, s'agissant de leurs coûts par rapport à leurs recettes. Les petites et moyennes entreprises représentent plus de deux tiers de tous les emplois formels au sein des pays en développement et 80 % au sein des pays à faibles revenus, et plus de 90 % de tous les emplois. Outre cela, des preuves nous montrent que les petites entreprises produisent le plus grand nombre d'emplois donc il faudrait assouplir les contraintes réglementaires et juridiques pour favoriser la création d'emplois. Exemple notable, Lima, au Pérou, où une réforme municipale a mené à la réduction des coûts de licence. Ceci s'est traduit par une augmentation quintuple du nombre d'emplois annuellement. Deuxièmement, atteindre un axe équitable à l'éducation et aux compétences pour la main-d'œuvre est essentiel et il faut également assurer un accès au financement pour les entreprises afin de donner un coup de pouce à la productivité. Une meilleure éducation et une main-d'œuvre plus compétente profitent à toutes les entreprises. Il faut également nous pencher sur les technologies, les progrès technologiques qui réduisent les obstacles à l’échange des services. Cela est essentiel compte tenu de la participation importante des pays aux exportations. Les contraintes limitent la possibilité des grandes entreprises d'entrer, de pénétrer les marchés, de croître et d'innover, ce qui les empêche ensuite de produire plus d'emplois et de meilleure qualité. Près de la moitié des PME n'ont pas accès à des prêts officiels et donc l'écart de financement est encore plus important pour les entreprises micro et informelles. Créer des conditions favorables à l'amélioration de l'accès au financement pourrait jouer un rôle phare pour la croissance des PME et pour la création d'emplois. Finalement, créer un environnement propice à l'attirance par les entreprises de capitaux privés est essentiel. Les grandes entreprises adoptent des technologies, innovent et transfèrent les technologies vers des plus petites entreprises. Elles créent également des emplois mieux rémunérés. Donc, à mesure que nous allons entendre nos orateurs aujourd'hui, les entreprises et les marchés numériques donnent lieu à de nouveaux débouchés commerciaux. Ces entités favorisent la création d'emplois. Les services numériques et l'inclusion financière permettent d’offrir de nouveaux débouchés pour les femmes, les jeunes et différents segments vulnérables de la population. L'élargissement rapide du commerce électronique, notamment durant la pandémie, témoigne de ce fait. Et le dernier message, c'est le suivant. Les emplois sont essentiels dans notre nouvelle conjoncture et notre feuille de route d'évolution. Les emplois sont au cœur de cette feuille de route, car ils sont une solution pour se sortir de la pauvreté. Nous allons donc rehausser nos efforts, notre travail, et c'est pourquoi ce genre de discussions sont extrêmement importantes. Elles sont des tribunes qui permettent de mieux comprendre ce que nous devons faire, c'est-à-dire agir. Et l'heure est à l'action aujourd'hui sur ces réflexions que je vous ai livrées. Je vous remercie de votre attention. [Applaudissements]

[Sandrine Rastello] Merci Axel. Je vous souhaite la bienvenue. Nos différents intervenants. Monsieur Younes Sekkouri, Ministre de l'Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l'Emploi et des Compétences du Maroc. Son Excellence Mário Augusto Caetano João, ministre de l'Économie et de la Planification de l'Angola. Madame Yetunde Adeyemi, Fondatrice et Directrice générale d'Active Foods Ltd. au Nigeria. Monsieur Larbi Alaoui Belrhiti, Fondateur et co-PDG de YoLa Fresh au Maroc. Et Monsieur John W. H. Denton AO, Secrétaire général de la Chambre de commerce internationale. Bien sûr, je l'ai déjà mentionné, mais n'hésitez pas, s'il vous plaît, à envoyer des tweets et à apposer des hashtags à vos commentaires sur le X Twitter. Monsieur Sekkouri, commençons par vous. Nous voyons des chiffres très prégnants communiqués par Axel. En même temps, les administrations nationales se trouvent dans des conditions difficiles au sortir de la pandémie. Il y a des taux d'inflation élevés, des taux d'endettement élevés. Dans ce contexte, quelle est la marge de manœuvre des administrations nationales pour qu'elles puissent créer de bons emplois dans la prochaine décennie ? Quelles sont les mesures qui ont porté leurs fruits, par exemple, pour vous, au Maroc ?

[Younes Sekkouri] Merci d'abord de l'invitation qui nous est faite. Merci particulièrement à l'auditoire, de leur intérêt pour ce sujet. Alors, les emplois, ils sont au cœur des préoccupations de tout État, de toute administration nationale. Il faut créer des emplois et des emplois décents, c'est encore plus difficile. Créer des emplois décents, soutenables, viables à long terme dans un environnement concurrentiel est d'autant plus compliqué. Et faire tout cela dans une conjoncture post-pandémique relève pratiquement du miracle. Pour le Maroc, nous sommes en poste depuis deux ans et le premier objectif consistait à générer des emplois et à permettre à des milliers de Marocains qui ont perdu leur emploi durant la pandémie de retrouver et de renouer avec des revenus. Nous avons donc lancé un programme et ce programme est fondé sur une période de travail limitée de quatre à six mois pour ceux qui ont vraiment perdu leur emploi. L'an dernier, en 2022, nous sommes parvenus à offrir des emplois à 104 000 personnes, des emplois rémunérés au salaire minimum, déclarés à la Sécurité sociale, avec un système qui faisait intervenir les administrations locales afin que les projets puissent se concrétiser sur le terrain. Cette année, nous voulions aller un peu plus loin, bien sûr, maintenir cet effort focalisé sur 100 000 personnes, dont 70 % n'ont aucun diplôme. 30 % sont dans des zones rurales et une bonne partie également sont des femmes dans ces zones rurales. C'est une situation très difficile. Nous avons lancé cette année 50 000 emplois supplémentaires avec des entreprises et avons travaillé à peu près six mois avec les dirigeants de quelques 30 entreprises et nous avons pu recruter 50 000 personnes avec bien sûr des incitatifs pour les amener à prendre part à la main-d'œuvre active. Les emplois néanmoins proviennent d'investissements et nous avons donc lancé ce projet important sous la division de Sa Majesté, la charte d'investissements. Nous avons deux axes. D'abord, la crise en matière d'investissement et de ce point de vue là, on travaille très bien, mais nous nous penchons sur les petites et moyennes entreprises parce que quand on parle d'emplois décents, à long terme, de bonne qualité, sept emplois sur dix sont créés au sein des administrations locales. Et en dernier lieu, bien sûr, il va s'en dire qu'il faut absolument s'atteler aux politiques passives. Et ici, le Code du travail du Maroc est en cause. Il a pratiquement 20 ans le Code du travail. Il y a eu tant de bouleversements au sein de la main-d'œuvre et des compétences au Maroc. Nous travaillons donc aujourd'hui avec les syndicats sur de vrais axes d'innovation et cela fait déjà presque un an que nous travaillons avec les syndicats pour nous atteler à certaines questions, et notamment sur le Code du travail. Cela nous permettra d'offrir un cadre réglementaire clair. Ce cadre réglementaire permettra de diviser les coûts des politiques pour que les entreprises au niveau local, au niveau vraiment microéconomique, puissent mener leurs activités, puissent mener des recrutements et qu'elles n'aient pas de problème lorsqu'il est question de traiter avec les fluctuations de l'économie et les contraintes économiques sur ces entreprises.

[Sandrine Rastello] Monsieur le ministre João, est-ce que ces mesures vous parlent, les mesures mentionnées par le ministre Sekkouri ? Je sais que vous venez de finaliser en Angola un nouveau plan national de développement. Quelle est la vision relative aux emplois ? Comment les mesures, ce plan national en Angola cadre-t-il avec ce qui a été dit par le Maroc ?

[Mário Augusto Caetano João] Oui, le Maroc semble concentrer les mêmes problèmes. En tant que ministre de l'Économie, on n'a pas droit au sommeil parce qu'on est responsable pour pratiquement tout ce qui se passe sur le marché. Mais je voudrais juste soulever certaines spécificités de l'Angola. L'Angola, pendant de nombreuses années, était une économie à planification centralisée. Les emplois étaient créés par les institutions gouvernementales. Ensuite, il y a eu la maladie du secteur pétrolier. Nous sommes le deuxième producteur de pétrole en Afrique subsaharienne, mais le secteur pétrolier ne génère pas beaucoup d'emplois, pas plus de 20 000 au total. Je dirais que c'est le principal moteur de notre économie, mais il ne crée pas d'emplois. Donc, il a fallu véritablement s'assurer qu'avec les emplois, l'on puisse travailler sur la productivité de la main-d'œuvre. À commencer par le plan de développement national, nous avons approuvé notre plan. Il s'agit du troisième plan de développement que nous avons adopté, mais nous regardons à la fois les plans de développement avant et on a vu que pas grand-chose n’a été fait. Le plan était là, il existait de gros chiffres, de beaux récits, mais rien ne s'est véritablement passé. On a décidé donc de créer des sortes de pôles d'attraction, d'aimants, en quelque sorte. Donc, quel que soit le projet, il y a une vision de création d'emplois. Notre pilier le plus important, on a deux piliers de développement dans notre plan de développement national : le premier, c'est le capital humain, ce qui veut dire que pas seulement le ministère de l'Éducation et le ministère de la Santé sont responsables pour le capital humain. Ce sont eux qui sont les principaux moteurs, mais dans tous les secteurs, ils doivent songer dans leur action au capital humain. Nous avons pour cela créé des filtres pour veiller à ce qu'il y ait un impact au niveau du développement, ce qui signifie par exemple des questions relatives à la jeunesse. Pas simplement une question pour le ministère de la Jeunesse. Tous les secteurs doivent traiter des jeunes. Combien de proches emplois avez-vous créés ? Quid du genre ? Quid des communautés vulnérables et ainsi de suite ? Je voudrais juste dire combien les problématiques d'emploi sont complexes en Angola et soulever trois principaux défis. L'emploi, c'est de veiller à ce que les entreprises, les groupes puissent aisément être créés et croître facilement. Quelles sont les contraintes pour la croissance en Angola ? Il y en a trois. Première contrainte, accès au financement. L'accès au financement est quand même assez difficile parce que le secteur bancaire a un énorme appétit pour le financement public. Comment, effectivement, veiller à ce qu'ils aient de l'appétit dans le secteur réel ? Nous travaillons avec le secteur pour, en quelque sorte, démythier, dérisquer des secteurs d'opérations, surtout dans l'agroalimentaire. L'agroalimentaire, au cours des trois dernières années, c'est ce qui impulse le plus la diversification de notre économie. Au cours des trois dernières années, le secteur bancaire a investi, plutôt a financé, environ 2 milliards de dollars dans les secteurs productifs, notamment, mais avant 2020, seulement moins de 5 000 ont été investis au cours des 10 dernières années. Qu'est-ce qui s'est passé ? Il y a eu le Covid et puisque l'Angola était lourdement tributaire de ses importations, on s'est aperçu que le confinement allait poser problème. Aussi, on a commencé à travailler avec le secteur bancaire, notre Banque nationale de développement, pour s'assurer qu'il y ait plus de projets qui soient financés. Et jusqu'en 2019, seuls 30 projets ont été financés chaque année. Et à partir de 2020, il y en a eu 300, donc 10 fois plus, 300 en 2020, 300 en 2021, et 300 en 2022 pour un volume de 2 milliards. Premier défi financé. Et là, on travaille avec le secteur bancaire pour débloquer, déverrouiller tout ça. Ensuite, le deuxième problème, c'est un problème lié au secteur public. Un meilleur environnement d'activités, d'affaires. J'entends par là un cadre juridique, créer des marchés. On ne peut pas créer des marchés seulement par la législation. Il faut aller sur le terrain, voir quels sont les segments qui manquent, qui font un environnement des affaires. On travaille avec la Banque mondiale pour se conformer aux rapports de la Banque mondiale. Il y en a un nouveau qui vient de sortir… Plus une vision plus internationale d'Angola, mais il faut relever les défis quotidiens de nos partenaires économiques. Vous me faites des signes d'accélérer, je vais obtempérer. En fait, il y a d'autres problèmes pour vérifier, déverrouiller un environnement propice aux affaires et ensuite nos opérateurs économiques, le renforcement de capacité de nos acteurs économiques pour qu'ils développent leurs propres plans d'affaires, etc. Voilà donc les trois principaux défis que nous sommes en train de relever et avec ces trois défis, il y a la formalisation de l'économie informelle. On donne des crédits, on renforce les capacités et on veille à ce que les régimes du secteur public soient également posés pour les toutes petites entreprises, les entreprises micro.

[Sandrine Rastello] On va revenir au secteur. Madame Adeyemi hochait de la tête, « accès au financement, je connais, capital humain, ça me préoccupe ». Deux entrepreneurs à vos côtés. Vous avez fait croître votre activité de boulangerie, sept employés en 2015, vous en avez plus de 400 maintenant. Vous autonomisez les femmes qui distribuent vos produits, vous recrutez des jeunes, toutes les catégories, donc là où il y a beaucoup de chômage. Expliquez-nous les obstacles qu'il a fallu surmonter en tant qu'entrepreneur femme pour arriver où vous en êtes aujourd'hui.

[Yetunde Adeyemi] Merci. Pour moi, à Active Foods Limited, je dirais que le financement était le principal obstacle à surmonter en lançant mon activité. Je pense qu'il en va de même pour beaucoup de femmes dans mon pays qui essaient de créer leur entreprise. J'ai le souvenir, en 2015, lorsque j'ai créé mon entreprise à l'époque, moi, j'ai démarré tout petit et malheureusement pour moi, mon pays a connu un changement économique. Il y avait beaucoup de problèmes qui se sont posés dans mon pays, mais je me suis dit qu'il fallait offrir de la valeur aux consommateurs et la demande pour mes produits a dépassé ma capacité de production. Aussi, j'ai décidé qu'il était important pour moi de monter, de grandir et il me fallait du financement, des fonds, mais malheureusement, il n'y avait pas de financement parce que nos start-up... On était une start-up à l'époque, j'ai essayé de contacter de nombreux établissements bancaires, mais j'ai fait face, par exemple, aux contraintes de financement. Il y a eu beaucoup de banques qui exigent un collatéral, un nantissement, des garanties que je n'avais pas, donc fort heureusement, chemin faisant, j'ai demandé un crédit qui s'adressait aux femmes entrepreneurs et cet emprunt m'a été accordée, basée sur ma trésorerie plutôt que le collatéral de nantissement. Et cet accès à financement m'a permis de développer mon activité et de créer davantage d'emplois. Et j'ai donc pu croître mon effectif de sept au démarrage, au fil des ans, nous avons maintenant atteint un effectif de plus de 400 personnes. Je dirais que le financement m'a permis également d'augmenter, d'accroître notre activité. On a démarré avec une usine, maintenant on en a quatre que l'on exploite. On ne crée pas simplement de l'emploi de manière directe. Indirectement, je me suis aperçu qu'on crée beaucoup de possibilités d'emplois pour les femmes et actuellement, nous avons plus de 200 femmes aujourd'hui qui sont devenues des distributeurs et elles viennent vers nous, récupèrent les produits, ensuite les revendent. Donc on essaie effectivement de monter en charge et en même temps, elles ont connu des contraintes de financement. Alors que j'avais un produit à leur vendre, elles, de leur côté, n'avaient pas le financement. Donc, pour revendre mes produits, vous voyez que tout au long de la chaîne, il y a toujours eu des contraintes de financement pour les femmes, surtout pour les entreprises, les start-up qui démarrent. J'ai donc pu garantir des crédits pour ces femmes pour qu'elles puissent faire croître leurs activités et j'ai vu effectivement que leur activité a pu croître comme la mienne.

[Sandrine Rastello] Vous avez effectivement mobilisé les femmes pour leur permettre de croître. C'est source d'inspiration pour les ministres, des exemples à reproduire dans vos pays respectifs. Merci. Je voulais maintenant parler d'un autre secteur de l'économie. Quand bien même vous avez l'alimentation en commun, dernière activité qui porte sur le secteur alimentaire. Monsieur, vous avez travaillé dans l'alimentation de la tech pendant dix ans. Vous savez effectivement en quoi ce secteur a pu bénéficier au marché de l'emploi au Maroc. Je sais que vous recrutez, je l'ai vu sur LinkedIn, donc vous y contribuez directement. Quelles évolutions avez-vous constatées au cours des 20 dernières années pour la tech et les emplois ?

[Larbi Alaoui Belrhiti] Merci. C'est une excellente question. Moi, je n'ai rien vu avant la tech en fait. Je ne peux que vous parler d'emplois qui proviennent d'une industrie de la tech ou en quoi la tech fournit des emplois dans quelque industrie que ce soit. Partant de la base, la tech améliore l'automatisation et de nombreuses tâches au sein d'une entreprise. Donc, sans conteste, davantage d'emplois sont créés, de sorte que les gens passent du temps, plus de temps sur des tâches qui ajoutent de la valeur. Un exemple. Je travaille dans des entreprises qui gèrent des milliers de commandes tous les jours. Il est impossible de gérer cette échelle d'activité si vous n'intégrez pas de la tech. Lorsque vous mettez de la tech, les gens... La dernière activité qu'on a lancée il y a six mois, on travaillait sans la tech, on n'avait pas le financement, on n'a pas investi, on a tout fait manuellement. En atteignant 10, 20 commandes par jour, ça commençait à devenir impossible à gérer ces volumes. Donc la tech nous a beaucoup aidés à augmenter la taille de notre activité, à aller plus loin. Deuxième chose, créer plus d'emplois. On a vu de nouveaux emplois créés grâce à la tech. Par exemple, le développement, le marketing digital, la livraison du dernier kilomètre. Ce n'est peut-être pas lié à la tech, mais avec le e-commerce, il y a plein de gens qui travaillent dans la livraison du dernier kilomètre, qui n'existait pas auparavant, et de nouvelles industries. Monsieur Sekkouri pourra en parler davantage, mais au Maroc, le BPO, l'externalisation des processus d'activité, génère plus de 120 000 emplois. Ça n'existait pas avant la tech il y a 20 ans, donc sans nul doute, la tech change totalement la donne et favorise la création d'emplois. La chose la plus importante dans la façon où la tech améliore la création sont les places de marché et l'économie. La giga-économie. [inintelligible] est un nouvel acteur au Maroc qui a employé environ 500 personnes, mais il y a plus de 10 000 vendeurs sur la plateforme. C'est une place de marché, donc 10 000 personnes qui vendaient. Plus de 4 000 chauffeurs dans la logistique, dans les entrepôts avec, comme ça a été dit, on avait J-Force, Jumia Force, des gens qui vendaient à des gens qui ne sont pas connectés. Donc, on a 3 000, 4 000 personnes qui font ce type de vente en ligne. Si vous les comptez tous, on a à peu près 10 000, 20 000 emplois créés. C'est des emplois directs, sans compter les emplois indirects. Ces économies, ces places de marché, d'auto-entrepreneurs créent massivement la dynamique d'emplois qui sont créées de différentes façons.

[Sandrine Rastello] C'est intéressant, vous parlez de l'économie des petits boulots, mais dans certains pays, il semblerait que ce soit négatif ou connoté négativement en matière de protection sociale. Mais vous, vous en parlez comme étant un moteur pour faire avancer votre pays.

[Larbi Alaoui Belrhiti] L'économie des petits boulots peut se voir de différentes façons. Il y a les emplois formels qu'on connaît et ensuite les emplois informels. Si l'on voit cette économie des petits boulots sous un certain angle, au Maroc, il y a 37 millions d'habitants, dont à peu près 12 millions sont considérés comme représentants la main-d'œuvre, 11 millions d'emplois. Donc, il y a un million et demi de personnes sans emploi, au chômage. Mais si l'on compte ce 1,5 million sans emploi, qui sont simplement des personnes qui ont déclaré ne pas avoir d'emploi, que fait-on des quelques 12 à 25 millions de personnes au Maroc qui sont en âge de travailler ? Ce n'est pas qu'ils ne travaillent pas parce qu'ils peuvent se permettre de rester chez eux sans emploi. Tout le monde doit ou a besoin en tout cas de contribuer à la société. Mais ce sont des personnes qui, généralement, sont exclus des marchés d'emploi traditionnels et formels, parce qu'ils ont peut-être un handicap ou ils sont des personnes qui doivent s'occuper de leur ménage ou font l'objet de discrimination au sein du marché du travail. L'économie des petits emplois, en quelque sorte, crée des solutions de rechange pour à la fois ceux qui travaillent au sein du secteur formel de l'emploi, mais ceux qui ne sont pas au sein du secteur formel d'emploi, qui n'ont pas de contrat de travail ni de sécurité d'emploi. Alors, est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose, l'économie des petits boulots ? Je pense que c'est une nouvelle façon de voir la manière dont les emplois sont créés. Je dirais que l'économie des petits boulots a créé des emplois stables bien rémunérés et cela a donné lieu à de nouveaux emplois. Vous êtes un jeune homme, par exemple, vous quittez le lycée, vous n'avez pas de compétences. C’est sans doute la tranche sur le marché qui est le plus au chômage. Ils vont faire quoi ? Ils vont prendre un vélo et commencer à faire des livraisons, gagner un peu d'argent et pouvoir ensuite suivre livre des formations. Il y a également beaucoup de formations dans le numérique, comment vendre sur les réseaux sociaux, comment conduire. Et ce genre de compétences peut mener vers des boulots, mener à des boulots qui nécessitent plus de compétences ou des emplois plus peaufinés. C'est une façon de faire entrer ces gens sur le marché du travail.

[Younes Sekkouri] Vous savez ce qui est intéressant ? C'est que les administrations nationales doivent se poser de nouvelles questions s'agissant des emplois, de l'avenir de l'emploi. Il y a deux façons d'aborder cette question, que l'on crée un nouveau contrat social. Il faut absolument échanger avec les différents groupes, les acteurs du terrain, principalement des syndicats et d'autres partenaires. Pourquoi ? Pour redéfinir la réalité de l'emploi aujourd'hui. Parce que si l'on se fie aux derniers rapports, les plus récents, c'est la transition entre la formation et le travail. C'est ce dont vous parlez, justement. Au Maroc, sous la gouverne du leadership de Sa Majesté, nous avons lancé un vaste chantier d'emploi, plutôt un vaste chantier de sécurité sociale, pour que même sans emploi, vous soyez protégés, que vous ayez des prestations pour vos enfants et que vous soyez protégés pour certains médicaments et d'autres services. L'idée sous-jacente, c'est que vous puissiez offrir une palette de services. Ainsi, le public peut couvrir ce qui est nécessaire d'être couvert et que les occasions sont disponibles à la fois pour les investisseurs qui veulent envisager de nouvelles formes, de nouveaux formats de travail et que l'on puisse également avoir un dialogue formel, un dialogue social. C'est pourquoi j'ai dit que le code du travail au Maroc est l'un des piliers du changement de paradigme sur lequel nous travaillons et nous espérons voir des résultats se profiler à l'horizon ces prochains mois.

[Sandrine Rastello] Merci. Monsieur Denton, qui est le plus loin de moi. J'aimerais me tourner vers vous, Monsieur Denton. Il serait utile d'avoir une vision mondiale, inter-pays, à la Chambre de commerce internationale. Vous représentez 45 millions d'entreprises réparties sur 170 pays. Vous avez donc peut- être un panorama plus mondial à nous proposer. Nous sommes témoins de différentes choses. Nous avons des pénuries de main-d'œuvre dans certains pays, des flux migratoires et ajoutons à cela certains pays riches qui tentent de faire une relocalisation des emplois et des activités vers leurs pays. Les pays en développement tentent de développer leur main-d'œuvre et de maintenir leur main-d'œuvre outillée avec des compétences nécessaires pour travailler et qui font face à la concurrence des pays plus riches. Dans cette conjoncture, comment les pays en développement peuvent-ils créer de bons emplois et également attirer du capital ?

[John W.H. Denton AO] Excellente question et merci. C'est un plaisir que d'être parmi vous. Comme le ministre du Maroc l'a dit, chaque personne, depuis que je suis arrivé au Maroc, m'a posé une question. Comment trouver… [pause] Comment est-ce que j'aime le Maroc ? Je peux vous dire qu'on adore le Maroc. Nous voyons un peu tout ce qui est fait depuis notre arrivée à Casablanca et on voit également des partenariats être tissés avec la Chambre de commerce internationale à Casablanca. Parce que les questions que vous mentionnez sont de réelles répercussions dans notre travail. Vous mentionnez les questions d'emplois très intéressantes, vous l'avez située dans les contextes plus géopolitiques. J'aimerais établir cette question dans un cadre plus macroéconomique. Pour bien comprendre la question des emplois, on peut se pencher sur le nombre de personnes qui sont prêtes et disposées à travailler et comment cela se décline dans le monde. Parce que vous avez dit que nous représentons des entreprises dans 170 pays de différents horizons de revenus, petits, moyens et élevés. 90 % des personnes qui veulent travailler dans les pays en développement peuvent trouver un emploi et jusqu'à 10 % trouveront cela difficile de trouver un emploi. Mais quand on passe vers les économies à faibles revenus, une personne sur cinq ne peut pas. Même s'ils veulent travailler, ils ne peuvent pas obtenir un emploi. Si on passe vers les pays à faibles revenus qui sont surendettés, c'est une personne sur trois qui ne peut pas trouver d’emploi. Donc, au niveau macro, qu'est-ce que cela nous dit ? C'est qu'en fait, il y a une dynamique liée à l'endettement. J'ai été nommé par le secrétaire général de l'ONU pour piloter le groupe qui riposte à la crise de surendettement. Et il y a un large éventail d'enjeux créés par l'endettement dans les pays à faibles revenus. Il faut voir donc quoi faire. En fait, il faut faire en faire davantage. Donc, beaucoup de personnes demanderont : « Que peut-on faire chacun, au niveau individuel ? », mais moi, je demande : « Que peut faire et que fait la communauté internationale ? ». Je pense fermement que plus de travail au niveau de la restructuration de la dette est essentiel. Il est formidable de voir la Banque mondiale, le FMI, le G20 et le cadre commun agir et se concerter. Et c'est formidable de voir la manière dont le FMI travaille de concert avec la Banque mondiale sur la question de la table ronde sur la restructuration de la dette. Mais il est absolument capital que nous avancions pour être conformes à tout ce qui est fait. Nous parlons de solutions concrètes et nous parlons des bailleurs, les créanciers, c'est-à-dire qui peuvent respecter les accords et les restrictions dans le cadre commun. Mais il faut également se demander d'où vient toute cette dette et comment travailler en matière de restructuration de la dette. La dette, en fait, se situe au niveau juridictionnel de New York ou Londres, donc il faut trouver ou mettre en œuvre de nouvelles règles qui s'appliquent également aux créanciers. Donc, il faut vraiment créer un espace dans nos discussions pour le surendettement et l'endettement. Ensuite, nous avons parlé également d'accès au financement. C'est un autre défi qui émane de la crise de la dette. Si l'on réfléchit à la manière dont la dette est pondérée et les répercussions pour les pays qui ont des dégradations de leurs dettes souveraines et la règle... Il y a une règle folle qui stipule qu'aucune entreprise ne peut avoir une note de crédit plus élevée que la note dont émane le crédit. Cela émane de la Banque internationale, des règlements, mais cela n'est pas logique. Cela ne tombe pas sous le sens. En 2023, nous devons changer cette règle, car comme le ministre de l'Angola l'a dit, il y a un problème lié à l'accès au financement à des fins d'échanges commerciaux. Dans des pays à faibles revenus et des pays émergents, ils sont confrontés à des problèmes de dettes parce qu'ils n'ont pas accès à des financements. Ce n'est pas parce que les banques ne leur prêtent pas, mais parce que le capital est trop cher et trop difficile d'accès. Il nous faut donc une force internationale qui émane pour réaligner ces forces, justement, pour permettre l'accès au financement sans quoi on peut ni exporter ni importer. En fait, le commerce international est le vecteur qui sous-tend la croissance. Le commerce est le vecteur de la création d'emplois et de la prospérité d'entreprises, ce qui est au cœur de notre activité à la CCI.

[Sandrine Rastello] L'accès au financement a été absolument un gros sujet. Madame Adeyemi, nous avons entendu un peu ce que vous avez fait jusqu'à ce jour et j'imagine que vous avez d'autres ambitions pour avoir plus d'incidence sur le terrain et pour croître. Selon vous, quels sont les plus grands enjeux ? Qu'est-ce qui pourrait vous aider le plus à ce stade pour vous aider à franchir le palier supérieur ?

[Yetunde Adeyemi] Généralement, moi, je chercherais par exemple du côté des politiques publiques pour échanger avec les décideurs qui mettent au point des politiques permettant de mettre en place des conditions économiques favorables pour que les citoyens aient suffisamment de pouvoir d'achat. Nous devons en clair voir ce qu'il en est des contrôles, des environnements contrôlés qui permettent la création d'emplois et qui permettent à ces emplois de s'épanouir. Donc, dans mes prochains plans, ce sont les questions sur lesquelles je me penche. Nous sommes d'accord de dire que les gouvernements et les décideurs font beaucoup, mais je pense qu'il y a encore beaucoup de travail qui reste à faire pour eux. Parce que pour nous, entrepreneurs, nous pensons qu'il reste encore beaucoup à faire et nous devons faire des investissements pour pouvoir élargir nos capacités. Et ce faisant, cela nous permettra de créer davantage d'emplois.

[Sandrine Rastello] Pour rebondir sur cela, Monsieur Belrhiti, c'est intéressant parce que vous étiez entrepreneur, vous étiez ensuite employé, puis vous êtes de nouveau entrepreneur. Alors, sans doute que le marché est propice pour l'instant, mais vous devez vraiment avoir une foi et avoir un environnement habilitant pour être entrepreneur. Y a-t-il eu des ingrédients qui vous ont donné la confiance pour lancer une nouvelle entreprise ou y a-t-il des lacunes en matière d'autoentrepreneuriat ?

[Larbi Alaoui Belrhiti] Oui, peut- être que j'ai un petit grain de folie. Mon parcours est jalonné de beaucoup d'expériences. J'ai commencé au sein du secteur, j'ai développé en 2004 des jeux vidéo en ligne, principalement pour les marchés internationaux. Ensuite, je suis revenu au Maroc et je pilotais cette entreprise depuis le Maroc, mais pour des acteurs à l'international. Je disais toujours que je voulais lancer une entreprise au Maroc, mais le marché n'était pas encore en démarrage. Il manquait certains éléments pour ce démarrage. Ensuite, une entreprise internationale, un groupe norvégien m'a contacté qui permet la vente de biens d'occasion et ils cherchaient quelqu'un pour lancer l'entreprise au Maroc. Ils ont des leaders dans 30 pays dans le monde et ils voulaient faire cela. Je leur ai dit : « Peut-être que je pourrais apprendre de votre groupe qui est à l'international pour bâtir quelque chose de semblable au Maroc. » Mon entreprise de jeux : j'ai adopté une démarche plus stratégique et eux, ils ont investi plus de 50 millions de dollars en 2011 et en 2012 au Maroc. J'ai appris beaucoup sur la façon de lancer ou de fonder une entreprise numérique au Maroc, mais à l'époque, il n'y avait pas d'investisseurs au Maroc qui pouvaient entretenir et maintenir une entreprise numérique. Je suis ensuite passé à Jumia cinq ans plus tard. C'est un acteur du commerce électronique qui collecte des fonds de joint-venture dans le monde et qui reste un grand joueur. Et je me dis aujourd'hui comment aurais-je pu être un entrepreneur moi-même sans l'accès au financement ? On a parlé de l'accès au financement. Ces entreprises ont vraiment besoin de dépenser beaucoup avant de pouvoir atteindre un niveau rentable. C'est donc dire qu'il vous faut un financement pour ce faire. Je dirais que peut-être il y a environ trois ans de cela, j'étais à beaucoup d'événements de start-up et des groupes me demandaient s'ils devaient investir dans des start-up ou non. Moi, je me disais : « Si tu veux faire un lancement d'une entreprise, tu as de l'expérience. Ça fait longtemps que tu travailles dans les start-up au Maroc. Vous êtes peut-être la bonne personne pour ce faire et on pourrait donc vous financer. » Mais à l'époque, je n'avais pas pensé que je redeviendrai autoentrepreneur moi-même parce qu'il y a... Il y avait des doutes, mais quand on est autoentrepreneur, il y a toujours eu une expérience qui sous-tend ce lancement auto-entrepreneurial. Finalement, nous avons décidé avec des entreprises de nous lancer dans le secteur agricole qui aurait vraiment beaucoup d'effets sur le terrain pour aider les agriculteurs, les aider à vendre leurs produits frais et comment optimiser la chaîne d'approvisionnement qui est très efficace aujourd'hui. Et je me suis dit peut-être que là, il y avait un grand rôle à jouer, qui aurait de vraies répercussions sur le terrain. Il y a eu différents fonds qui m'ont fait confiance, mais la question se pose : sans financement, qui pourrait prendre de tels risques ou adopter de telles mesures ? Je pense qu'il faut davantage de financement. Cela permettrait à beaucoup d'entrepreneurs de se lancer. Toute PME ou start-up qui voudrait se lancer, le financement leur permettrait de créer des emplois. Ensuite, en deuxième lieu, il y a la réglementation parce qu'il y a de grands groupes internationaux qui peuvent se lancer dans des entreprises, comme avec Jumia ou Chips, le groupe norvégien. Il faut toutefois qu'il y ait un pays doté de réglementations stables avec une certaine confiance. Il faut encore bien sûr créer une réglementation permettant l'émergence de l'économie de petits boulots avec une certaine réglementation. Il faut beaucoup de flux financiers pour que l'on puisse avoir vraiment une approche de révolution avec le numérique également.

[Sandrine Rastello] Oui, je vous laisse compléter.

[Mário Augusto Caetano João] Oui, j'ai écouté avec intérêt toutes ces initiatives de start-up. On a deux approches en Angola pour créer des emplois. Il y a d'abord l'agroalimentaire, parce qu'on souhaite bien sûr parvenir à la sécurité alimentaire. Dans les villes, dans les zones urbaines, nous savons que les start-up et tout entrepreneuriat, c'est la solution pour créer des emplois. Donc, en 2020, on a décidé d'organiser notre premier sommet de start-up en Angola. À l'époque, il n'y avait qu'une trentaine de start-upers qui ont participé. Moi, j'ai regardé autour de moi, je me dis : « Non, ce n'est pas vraiment le reflet de ce qui se passe en Angola. Il faut organiser un deuxième sommet des start-up. » Ça, ça s'est passé cette année. Là, il y avait 150 participants à ce sommet de jeunes pousses. Et avec ce sommet, en fait le premier sommet des jeunes pousses ne faisait que montrer ce qu'ils faisaient, mais pas nécessairement en rapport avec les besoins du marché. Moi, je me suis dit : « Très bien, je vais inventer des prix. » Donc, il y a eu un prix ministériel décerné aux groupes qui allaient créer les segments qui faisaient défaut. Le premier prix : lorsque vous arrivez au restaurant, ils ne vous donnent plus le menu, ils vous balancent un QR code et vous vous dites que ce QR code va sauver votre vie pendant toute votre durée du repas. Au restaurant, non, vous devez quand même appeler le serveur pour commander, pour régler, il faut attendre la note et tout. Donc, vous scannez le QR code, vous commandez avec le QR code, vous voyez votre facture qui évolue pendant la soirée. Lorsque vous êtes prêt à payer, vous réglez la note et il y a une information à la caisse indiquant que vous avez payé. Vous pouvez quitter l'établissement. Ça, c'était le premier prix. Deuxième prix qui a été décerné à ce sommet, c'était le stationnement. Alors en Angola, vous pouvez stationner n'importe où et la municipalité n'empoche rien. C'était un prix de la municipalité pour qu'ils développent une appli où les gens peuvent trouver leur place de stationnement, payer, etc. Ce qu'on a vu, c'est qu'ils peuvent combler les lacunes qui existent dans le marché. Ça, c'était très intéressant. Pour l'année prochaine, on veut organiser un sommet de start-up qui va réunir 1 000 start-upers, mais le plus important, c'est de s'assurer que ce ne soit pas nous qui créons le marché des start-upers, que les grands groupes s'adressent à ces jeunes pousses et échangent pour pouvoir régler les défis auxquels sont confrontés les grands groupes. Cette année, l'an dernier aussi, c'était les grands groupes qui finançaient la participation des start-up. Nous, on ne débourse pas un centime, un seul dollar pour organiser la manifestation. C'est piloté par les forces de marché.

[Sandrine Rastello] Vous souhaitez intervenir ?

[Younes Sekkouri] Oui, si vous le permettez. Oui, il y a deux choses qui me paraissent tout à fait essentielles, qui sont importantes pour ce qui est de faire croître les emplois. Il y a d'abord l'échelle, n'est-ce pas ? Lorsque vous gérez un pays ou vous êtes de ceux qui ont la charge de gérer un pays, il faut bien garder à l'esprit qu'il vous faut absolument tenir compte de l'échelle. Toutes les études affirment que les emplois proviennent de changements structurels, il s'agit pour cela de réorienter la production où les facteurs de production sont les plus élevés. Mais voyez comment les États ont mené des changements structurels via des stratégies industrielles. Voyez des différences en termes de la performance de ces stratégies et de leurs effets bénéfiques pour les emplois. Deuxième chose, c'est le facteur temps, parce qu'en général, alors que vous vous efforcez dans votre projet de créer des emplois qui mettent en adéquation l'offre et la demande, il y a des dizaines de milliers de personnes qui arrivent sur le marché qui peuvent avoir des qualifications et d'autres pas formées. Donc vous êtes nécessairement face à des situations complexes et j'ajouterai une autre situation qui est la demande internationale en matière de compétences. Ça, ça déstructure totalement les effets que les pays à développement moyen mettent en place. Le Canada, l'Allemagne, la France, l'Europe en général, ces pays, je dirais, ont des besoins et notre enjeu à tous, c'est d'établir un marché international d'intermédiation de façon à pouvoir planifier nos propres ressources. Parce que ça nous coûte de former et d'instruire les gens et ça leur coûte politiquement d'annoncer le nombre de gens dont ils ont besoin puisqu'ils s'adressent à leur propre opinion publique. Mais nous aussi, on s'adresse à nos propres opinions publiques. On souhaite être clair sur ce phénomène de migration. Comment résoudre cela ? On avait une stratégie avec des piliers. J'ai commencé à travailler avec les ministres de ces pays. Il nous faut signer suffisamment d'accords entre les pays pour veiller précisément à ce qu'on comprenne très bien quels sont vos besoins et vice versa. Vous comprenez ce que nous on fait. Lorsque vous réclamez 850 000 compétences en Allemagne, on a un marché national où on fait des investissements, on a des stratégies. Dans le secteur de la santé ou autre, on doit veiller à ce qu'on puisse planifier. Vous devez nous fournir les chiffres et c'est un débat politique dans vos pays à vous. Et pour moi, c'est un investissement. Deuxièmement, comment investir dans les compétences ? On a inventé un petit concept. Nous avons un inventé un petit concept que nous appelons l'intégration verticale en termes de compétences à destination des pays d'accueil. Si vous allez dans un pays... Moi, je ne peux pas empêcher les gens de quitter le Maroc, mais vous devez co-investir avec moi dans des établissements scolaires qui ont des coûts et il faut que ces coûts soient soutenus. Il faut offrir de l'accès aussi, de l'accès aux femmes pour leurs tâches. Lorsque vous regardez les chiffres du chômage, 1,4 million de Marocains qui ne sont pas très éloignés du marché, mais ont besoin de formation précise, de budget. C'est ce sur quoi notre politique de formation de TVEIT, je ne veux pas prendre trop de temps, mais de formation professionnelle. L'idée étant qu'il y a une constellation de politiques où vous devez panacher entre des politiques actives et passives d'emplois, mais il faut prévoir de l'investissement, être attrayant, créer des emplois suivant une véritable croissance. Ce n'est pas la croissance des petits entrepreneurs, c'est la croissance qui est amenée par les grands investissements et là, autour desquels les petites entreprises peuvent croître. L'idée, ce n'est pas de prendre la voie d'entrepreneuriats héroïques où on a besoin de centaines de milliers de personnes qui font des petites choses où il n'y a pas vraiment de demande à la clé. Donc, les stratégies réussies sont celles qui mélangent l'entrepreneuriat avec de plus gros investissements, y compris des investissements publics qui existent dans tant de pays.

[Sandrine Rastello] Monsieur Denton, la possibilité de réagir, je ne sais pas si c'était à l'initiative angolaise.

[John W.H. Denton AO] Non. Je vais juste rebondir sur ce que vient de dire le ministre du Maroc. Je suis toujours inquiet lorsqu'on parle d'opportunités économiques et d'emplois qui sont vus via le prisme des start-up. Comme le dit le ministre, il y a quand même un tableau beaucoup plus... On gère une campagne. Moi, je viens de travailler en Amérique latine. [Je suis un entrepreneur.] L'idée, c'est que tout le monde peut être un homme ou une femme d'affaires. Le concept qu'on veut, c'est comment faciliter cela ? Il y a des choses pratiques que les États peuvent faire. Regardez la facilitation des échanges. Franchir les frontières, les échanges par-delà les frontières, c'est essentiel, revoir les douanes, accords de facilitation des échanges. Une bonne partie de la zone de libre-échange en Afrique passe par la facilitation des échanges. C'est 60 %. On travaille sur les douanes, on fait ça. On préside ce groupe sur la facilitation des échanges. On le fait au Maroc maintenant avec [inintelligible]. L'autre, c'est d'avoir accès aux documents d'échange qui permettent à cela d'aboutir. 98 % de connaissements passés en papier, 98 % en 2023. Ce qu'on fait faire, c'est de passer de l'analogique au numérique pour avoir plus d'accès, que ça soit plus disponible. Il y a des réformes. Ce sont des réformes à zéro coût pour les uns. On a développé les normes numériques de la Chambre de commerce internationale, la capacité juridique. La raison, quand ces documents ne sont pas reconnus de façon dématérialisée, c'est que le droit ne les reconnaît pas. Ces instruments dématérialisés, on pilote ça avec les États impliqués, les milieux d'affaires. Mais c'est une réforme à faible coût et à fort impact qui peut aboutir et qui va changer la donne en Afrique.

[Sandrine Rastello] Vos membres sont-ils inquiets de l'intelligence artificielle de l'impact sur le... Il y aurait tout un chapitre, on ne va pas l'ouvrir maintenant. Vous avez la parole.

[John W.H. Denton AO] Est-ce que c'est un souci ? Lorsqu’on a un petit groupe, le terme intelligence artificielle sur tout le groupe, on a différents points de vue, mais il y en a un qui est quand même courant, c'est que c'est quand même un petit peu inquiétant. Les gens se demandent ce que ça va donner. Comment permettre à l'IA d'être un moteur de la croissance efficace et inclusive du secteur privé ? Quel est le type de modèle de gouvernance que les États doivent mettre en place dans les économies émergentes et le Sud global pour qu'elles ne soient pas laissées de côté, donc de bonnes politiques qui favorisent l'investissement. Mais il ne faut pas jouer contre son camp. Est-ce que vous voulez faire partie du monde de l'IA ? Il faut permettre aux données de franchir les frontières. Moi, je ne parle pas de données personnelles, les données liées aux entreprises. Pour l'heure, il y a une poussée à l'OMC pour ne pas renouveler le moratoire contre les tarifs sur les échanges. C'est de la folie furieuse. On marque contre son propre but, puisqu’en mettant une taxe là-dessus, sur ces données, ce qui arriverait entraverait la perspective de participation dans l'IA et un potentiel pour une croissance économique inclusive, appuyée par l'IA.

[Younes Sekkouri] Très rapidement, parce que je voudrais quand même... Non, juste pour dire qu'on travaille là-dessus depuis un an, sur un observatoire du marché basé sur l'intelligence artificielle. On a développé avec une université marocaine cinq référents numériques qui s'adressent aux demandeurs d'emploi et de les entraîner, de les accompagner, comment remanier leur CV, adresser des lettres de motivation et on travaille avec les employeurs pour que les spécifications d'emplois, toutes les nomenclatures soient redéfinies en fonction de l'IA. L'idée, c'est d'ouvrir le marché de la mobilité internationale pour ce qui est une meilleure adéquation entre les demandeurs d'emploi et les entreprises.

[Sandrine Rastello] On est un peu pris par le temps. Je voulais que chacun d'entre vous dise un mot sur votre priorité dans l'idéal pour créer des emplois. C'est difficile en tant que ministre, vous y travaillez. Allez, en deux mots. On a 20 secondes chacun.

[Mário Augusto Caetano João] Bien. Non. Je voulais en une minute conclure en disant, outre toutes ces initiatives, on regarde le contenu local, le contenu local qui va créer beaucoup d'emplois. Le contenu local, on a développé ce sac, Feito em Angola, le seul au monde avec un QR code. Si vous le scannez, je pourrai vous retrouver. Et cette marque, vous ne l'obtenez que lorsque vous avez 30 % de contenu local.

[Sandrine Rastello] Dans l'idéal, ce serait quoi pour vous ?

[Yetunde Adeyemi] Pour moi, c'est le financement, le financement, trois fois le financement. Ça, c'est l'élément clé pour moi. Donc pas simplement le financement, mais un taux d'intérêt attractif. On va donc avoir, on cherche des politiques qui vont faire permettre aux chefs d'entreprises d'avoir accès au financement, à un taux d'intérêt attractif.

[Larbi Alaoui Belrhiti] De notre côté, nous travaillons dans un contexte où il y a beaucoup d'emplois informels, des chaînes d'approvisionnement agricoles. Donc, notre principal objectif, c'est d'intégrer ces personnes. Nous avons vu de beaux exemples de personnes qui utilisent plus de main-d'œuvre en chargeant des camions sur les marchés de gros et qui travaillent aujourd'hui au sein de structures qui leur donnent davantage de soutien. Et cela, bien sûr, est tributaire de la taille de la chaîne d'approvisionnement. Donc cela contribue à la création d'emplois.

[John W.H. Denton AO] La dette nuit à la création d'emplois dans les pays à faibles revenus et les pays surendettés. Ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait une restructuration de la dette rapide et efficace au sein du... Et que le G20 s'attelle à cette question. C'est pourquoi cette année, nous allons nous assurer que ce soit la priorité pour le prochain G20. Cela permettra de créer un environnement de croissance et de débouchés en matière d'emplois qui seront visibles par les citoyens.

[Sandrine Rastello] Monsieur le ministre, un dernier mot sur le Code du travail peut-être du Maroc ?

[Younes Sekkouri] L'intégration régionale et internationale dans les chaînes de valeur est essentielle pour avoir des investissements et il faudra passer de faire la transition de la formation à l'emploi, avec tous les risques qui vont avec. Et il faut travailler la sécurité et la protection des travailleurs parce que quelqu'un, à un certain moment, devra s'occuper aussi de tous ces aspects réglementaires.

[Sandrine Rastello] Merci de votre participation. Vous pouvez voir le replay sur le site Internet de la Banque mondiale live.worldbank.org. Et bien sûr, n'hésitez pas à partager vos impressions sur les réseaux sociaux. Merci. Excellente journée.

00:00 Introduction
01:39 Allocution d'Axel van Trotsenburg, directeur général senior de la Banque mondiale
09:05 Maroc et Angola : que peuvent faire les gouvernements pour créer des emplois de qualité ?
20:18 Les obstacles auxquels font face les femmes entrepreneurs
24:36 Évolution des secteurs technologique et de l'emploi au cours des 20 dernières années
32:56 Comment les économies en développement peuvent-elles créer de bons emplois et attirer des capitaux ?
38:20 Que nous réserve l'avenir ? Visions des entrepreneurs et des gouvernements
58:14 Les priorités pour créer des emplois
1:01:21 Conclusion

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